Exil : création collégiens 2016 (Josselin)

THÉÂTRE : Création des élèves de 5ème, option théâtre du collège Max Jacob de Josselin (56), promotion 2015-2016. Sous la direction de Sandrine Le Mével Hussenet.

Mai 2016.

Exil revisite le mythe de Roméo et Juliette. Quelque part dans un pays envahi par les terroristes, des familles ennemies, celle de Myriam et celle de Miran, sont forcées de fuir ensemble. Exil parle aussi des frontières, de la part de soi qu’il faut laisser derrière soi pour tenter de survivre. Exil parle des solidarités improbables, de la mort, de la perte, de la mer qu’il faudra traverser pour atteindre l’autre rive qui… peut-être sera une terre d’exil, une terre d’accueil, une terre d’asile… Qui sait ?

Les jeunes créateurs ont choisi les thèmes, ont inventé les personnages et leur histoire, ont improvisé chaque scène pour rendre l’écriture possible. Si jeunes et si engagés, sensibles et humanistes, les auteurs et comédiens d’Exil ont écrit une magnifique histoire humaine qui parle du monde, au monde.

Crédit Photo : Marie-Laure Bourven

EXTRAIT

Benjamine1.          Nous avons tout laissé derrière nous. La colline. Les orangers et les citronniers. Le parfum des amandiers, des figuiers, celle des dattiers et des abricotiers. Les odeurs de la maison, celle du pain chaud, celle du feu de bois. Le bruit de la rivière au dehors et le coucher du soleil derrière le vieux chêne du village. Nous avons laissé la maison, avec ses murs et son toit. Les lits, les images sur les murs. La table de nuit. Les livres. Les photos. Les lettres. Les tombes. Surtout les tombes que plus personne ne connaîtra. Nous avons laissé le chaud de la maison et les sentiers que nous connaissions. Nous avons quitté la route que nous connaissions et tous les paysages. Alors nous avons été étonnés que notre ombre ait pensé à nous suivre. Notre ombre était la seule chose familière que nous avions emportée avec nous.

 

TEXTE INTÉGRAL

Exil

Pièce réalisée par les élèves de 5ème Option Théâtre, du collège Max Jacob de Josselin,

(invention du scénario, création des personnages, improvisations des scènes à écrire).

Mise en écriture et en scène : Sandrine Le Mével Hussenet

Personnages et distribution

La famille riche

Papy Pomme, le patriarche                                Ryan

L’Amoureuse (Myriam), fille de Papy Pomme                 Mathilde G

La Fille aînée1 (Maya), veuve, fille de Papy Pomme Mathilde L

La Cadette1 (Ellenna), fille de Papy Pomme           Annaëlle

La Benjamine1, fille de Papy Pomme                   Adèle

Le Fils (Tarek), fils de Papy Pomme                      Karel

Lili, fille de Maya, petite-fille de Papy Pomme            Maëllys

Lilou, fille de Maya, petite-fille de Papy Pomme                  Sarah

La famille pauvre

Papy Canne, le patriarche                                  Lucas

L’Amoureux (Miran), fils de Papy Canne             Briac

La Fille aînée2 (Julia), veuve, fille de Papy Canne   Lisa

La Cadette2 (Helene), fille de Papy Canne             Gabrielle

La Benjamine2, fille de Papy Canne                    Coralie

Léa, fille de Julia, petite-fille de Papy Canne              Emma

Léo, fils de Julia, petite-fille de Papy Canne              Léo

Les Gardes frontière

Garde1.                                                           Mélany

Garde2.                                                           Maëllys

Garde3.                                                           Karel

 

Première narration.

Benjamine1.          Vous voulez savoir comment on en est arrivés là ?

Benjamine2.          Comment on est arrivés ici ?

Benjamine1.          C’est une histoire un peu longue à raconter.

Benjamine2.          Si vous voulez bien patienter. Nous allons vous la dire.

Benjamine1.          C’est une histoire banale de gens ordinaires occupés par les petites choses ordinaires de la vie, qui s’aimaient et se détestaient comme des millions de gens savent le faire, préoccupés davantage par leur passé que par leur avenir, tout absorbés par leurs petites affaires, sans trop lever le bout de leur nez.

Benjamine2.          Des gens comme vous.

Benjamine1.          Comme eux, comme nous.

Benjamine2.          C’est l’histoire banale de gens ordinaires à qui il arriva des choses extraordinaires.

Benjamine1.          Des choses que personne n’avait choisies, ni prévues, ni voulues.

Benjamine2.          Des choses qui dépassent les gens ordinaires, comme les raz-de-marée dépassent les villages de bord de mer.

Benjamine1.          En fait, pour bien comprendre notre histoire, il faut remonter jusqu’au jour où ma sœur Myriam est allée retrouver Miran…

Benjamine2.          Mon frère.

Benjamine1.          Sur la colline de pierres blanches.

Benjamine2.          Derrière les orangers.

Scène 1.

L’Amoureux attend. Il est inquiet. L’Amoureuse arrive enfin.

L’Amoureux.         Tu as réussi à t’échapper.

L’Amoureuse.       Pour quelques minutes seulement. Mon père me surveille.

L’Amoureux.         Le mien aussi.

L’Amoureuse.       C’est terrible ce qui nous arrive.

L’Amoureux.         S’aimer tant et avoir des familles aussi insupportables.

L’Amoureuse.       Ennemies depuis la nuit des temps.

L’Amoureux.         Ils ont même oublié pourquoi.

L’Amoureuse.       Je me fiche de leurs raisons. Je t’aime.

L’Amoureux.         Moi aussi. Alors sauvons-nous. Partons ensemble.

L’Amoureuse.       Où veux-tu aller ?

L’Amoureux.         Partir loin d’ici. Loin de leur petite guerre absurde.

L’Amoureuse.       Mais tu n’as pas d’argent. Comment ferons-nous ?

L’Amoureux.         Nous nous débrouillerons. Je te jure qu’à la fin du voyage, tu ne manqueras de rien, ma Princesse.

L’Amoureuse.        Laisse-moi un peu de temps. Je ne peux pas partir si vite. Mes pauvres sœurs. Pauvre papa. Depuis que maman est morte il n’est plus le même. Il est devenu tyrannique.

L’Amoureux.         Le mien pareil. C’est notre sœur aînée, déjà veuve avec deux enfants, qui fait tout à la maison maintenant.

L’Amoureuse.        Nos familles sont comme des miroirs. Chez moi c’est pareil.

L’Amoureux.         Prépare-toi, ma Princesse. Nous partirons bientôt.

L’Amoureuse.        Je te le promets.

On entend des rires d’enfants.

 L’Amoureuse.        Ce sont mes nièces.

L’Amoureux.         Et mes neveux. Sauvons-nous avant qu’ils ne nous voient.

Ils s’enlacent.

 L’Amoureux.         Prends soin de toi. Je t’aime.

L’Amoureuse.        Je t’aime.

Ils sortent.

Scène2.

Les sœurs entrent à Cour.

Lilou.                    Lili vient. Papy Canne va gronder. On est en retard.

Lili.                       J’arrive Lilou. T’es toujours pressée, toi !

Les jumeaux entrent à Jardin.

 Léa.                      Léo, qu’est-ce que tu fiches ? On avait dit à Papy Pomme qu’on serait rentrés pour le goûter.

Léo.                      Tu parles d’un goûter. Un méchant crouton de pain dur pas bon et de l’eau dégueu. Quand on pense à ce qu’ils ont à manger les autres.

Léa.                      N’y pense pas mon Léo, ça te fait du mal.

Léo.                      Léa. Tu imagines, des brioches toutes chaudes, du lait au chocolat, des confitures de fraise.

De l’autre côté de la scène, les sœurs ont reconnu les jumeaux.

Lilou.                    Lili ! Regarde, les Pauvres !

Lili.                       Beuck ! Ils me dégoûtent.

Lilou.                    Papy Canne dit qu’ils sentent mauvais et qu’ils sont pleins de poux.

Lili.                       Et qu’ils mangent leur crottes de nez.

Lilou.                    Moi, aussi je mange mes crottes de nez.

Lili.                       Oui Lilou. Mais c’est pas pareil. Les tiennes elles sont propres.

De l’autre côté, les jumeaux ont repéré les sœurs.

Léa.                      Léo, regarde, les Chipies !

Léo.                      (Aux sœurs) Hé ! Les gosses de Riches, vous n’êtes pas encore crevées, étouffées par vos brioches ?

Lili.                       (Aux jumeaux) Et vous, n’êtes pas encore crevés, empoisonnés par votre pain pourri.

Lilou.                    Viens Lili, Papy Canne va nous gronder.

Léa.                      Viens Léo, Papy Pomme va râler.

Ils quittent la scène chacun de leur côté.

 Scène3.

Scène de famille : Papy Canne, ses trois filles et son fils.

Papy Canne.          (À son fils) Je t’ai demandé de la surveiller.

Le fils.                   Je peux pas être partout, papa. Tu voulais aussi que j’aille surveiller les terres du côté de la rivière (tout va bien), que je voie le fermier pour le troupeau (le troupeau est beau et la fille du fermier est jolie), que je réclame l’argent de la location de la charrue (c’est fait), que je passe voir les dattiers et les abricotiers de la colline (il faudra en traiter un ou deux), que je prenne des brioches pour les enfants (elles sont toutes chaudes) et que je te fasse un café. Et en plus, tu voulais que je surveille ma sœur ! Peux pas tout faire, moi !

Papy Canne.          C’est bon, c’est bon ! (À sa fille aînée) Où sont tes enfants Maya ?

Lili et Lilou arrivent.

La Fille aînée1.       Les voilà ! Où étiez-vous ?

Lili.                       Dans les collines.

Lilou.                    On a vu les Pauvres.

Papy Canne.          N’allez pas trainer avec ces pouilleux.

Lili.                       On n’a pas trainé avec.

Lilou.                    On les a juste insultés de loin.

Papy Canne.          Très bien !

La Fille aînée1.       Papa !

Papy Canne.          Ben quoi ? C’est bien. De loin, c’est très bien.

La Fille aînée1.       Les insultes !

Papy Canne.          Les insultes c’est très bien ! C’est qu’une bande de pouilleux guenilleux odieux. Des envieux. De sales pouilleux guenilleux envieux !

La Fille aînée1.       Ça n’en finira donc jamais cette histoire !?

La Cadette1.         C’est une obsession.

La Benjamine1.     Ça tourne en rond.

La Fille aînée1.       Ça finira par nous porter malheur. Ce n’est jamais bon d’entretenir la haine comme ça.

La Benjamine1.     Jamais.

La Cadette1.         (À son père) Il n’y a donc pas moyen de faire la paix à la fin ?

Papy Canne.          Jamais. (À son fils) Répète avec moi, Fils !

Papy Canne et le Fils.  Jamais !

Lili et Lilou.           Jamais !

L’Amoureuse entre.

Papy Canne.          Ah ! Te voilà enfin ! Où étais-tu passée ?

L’Amoureuse.        Chez la couturière.

Papy Canne.          C’est ce qu’on dit !

L’Amoureuse.        (À la Cadette1) Ellenna, faut que je te parle.

La Fille aînée.         (À ses filles) Venez goûter les enfants !

Lilou et Lili.           Ouiiii !

Scène 4.

Scènes muettes entre le père et le fils, la mère et ses filles, la Benjamine1 qui observe les scènes. Sur le devant de la scène, la Cadette et l’Amoureuse.

La Cadette1.         Tu l’as revu.

L’Amoureuse.        Oui.

La Cadette1.         Ça commence à devenir dangereux. J’ai l’impression que papa devine quelque chose. Il n’arrête pas de vouloir te faire surveiller.

L’Amoureuse.        On a décidé de s’enfuir.

La Cadette1.         Vous enfuir ? C’est de la folie. Le pays n’est plus sûr depuis que les terroristes ont envahi le sud et l’est.

L’Amoureuse.        Nous allons quitter le pays.

La Cadette1.         Mais enfin, Myriam, il est pauvre comme Job.

L’Amoureuse.        J’ai mes bijoux.

La Cadette1.         Il doit y avoir une autre solution.

L’Amoureuse.        Tu en vois une autre ?

La Cadette1.         Il faut le dire et forcer les familles à s’entendre.

L’Amoureuse.        Ils nous tuerons.

La Cadette1.         Je les empêcherai !

L’Amoureuse.        Ne dis pas de bêtises.

La Cadette1.         S’il faut se battre, je me battrai, petite sœur, fais-moi confiance !

Scène 5.

Même scène dans l’autre famille. Papy Pomme avec ses trois filles.

Papy Pomme.       Où est mon fils ?

La Fille aînée2.       Sorti.

Papy Pomme.       Je lui avais demandé de rester ici. Il faut le surveiller.

La Benjamine2.     Et comment veux-tu qu’on le surveille ? On est occupées toute la journée.

La Cadette2.         Avec toutes ces bouches à nourrir.

La Benjamine2.     Julia a déjà bien du courage. C’est elle qui fait le plus gros du travail ici. Avec son chagrin à porter, depuis la mort de son mari, et les jumeaux qui n’en font qu’à leur tête.

Papy Pomme.       Où sont mes petits-enfants ? Julia ? Où sont tes enfants ?

Les jumeaux rentrent.

Léa.                      Salut la compagnie ?

La Fille aînée2.       Où étiez-vous ?

Léo.                      Dans les collines.

Léa.                      On a vu les Riches.

Papy Pomme.       Ne vous approchez pas d’eux. Ils sont mauvais comme la teigne !

Léo.                      On s’est pas approché d’eux.

Léa.                      On les a insultés de loin.

Papy Pomme.       C’est bien !

La Fille aînée2.       Papa !

Papy Pomme.       Ben quoi ! Faut bien qu’ils sachent ce qu’on pense d’eux ! Ces espèces de sentencieux calomnieux dispendieux. Ces prétentieux ! Tous des prétentieux de pères en fils, de mères en filles.

La Cadette2.         À force de tourner tes idées fixes dans ta tête, tu vas finir par nous faire tous tourner bourrique.

Papy Pomme.       Ma fille, tiens ta langue ou je pourrais bien te la faire avaler. Où est mon fils ?

La Fille aînée2.       Sorti.

La Benjamine2.     Si au moins, il pouvait nous rapporter quelque chose à manger pour les petits. C’est une pitié que de les voir se contenter de leur maigre bout de pain dur tous les jours.

La Fille aînée2.       Aujourd’hui, j’ai pu faire de la bouillie de son.

La Benjamine2.     Ça leur tiendra mieux au ventre.

L’Amoureux rentre.

Papy Pomme.       Ah ! Te voilà toi. Ça fait deux heures qu’on t’attend.

L’Amoureux.         Je ne suis pas parti si longtemps.

Papy Pomme.       Où t’étais ?

L’Amoureux.         Chez le meunier. Je l’ai convaincu de nous faire crédit. Tiens, Julia, du blé pour le pain. C’est du froment cette fois, pas du blé noir.

La Fille aînée2.       Ô merci, petit frère.

L’Amoureux.         Pas de quoi.

La Fille aînée2.       Allez, venez les enfants. Maman vous a préparé de la bouillie.

Léo.                      Avec du lait ?

La Fille aînée2.       Non. Avec de l’eau.

Léa.                      C’est pas grave.

La Fille aînée2.       Demain, vous aurez du pain frais.

Léo et Léa.            Youpi ! Merci Tonton !

La Cadette2.         (À son frère) Miran. Il faut que je te parle.

Scène 6.

Scènes muettes entre le père et la Benjamine2, la mère et ses jumeaux. Sur le devant de la scène, la Cadette2 et l’Amoureux.

La Cadette2.         Tu l’as revue.

L’Amoureuse.        Oui.

La Cadette2.         Ça devient sérieux alors ?

L’Amoureux.         Très.

La Cadette2.         Qu’est-ce que tu compte faire ? Tu sais que papa commence à se douter de quelque chose.

L’Amoureux.         Je sais. C’est pour ça qu’on va s’en aller.

La Cadette2.         S’en aller ? Pour aller où ?

L’Amoureux.         Quitter le pays.

La Cadette2.         Quitter le pays, mais les frontières sont fermées. Nous sommes en état de guerre, Miran, au cas où l’aurais oublié.

L’Amoureux.         Je sais. De toute façon, je ne veux pas rester ici. Je veux mettre ma femme à l’abri.

La Cadette2.         Ta femme ? Mais vous n’êtes pas encore mariés, je te signale. Si les vieux apprennent ça, vous êtes morts.

L’Amoureux.         Je préfère encore mourir que d’être séparé d’elle.

La Cadette2.         Ne dis pas de bêtises, mon frère. Fais-moi confiance. Je vais tout faire pour arranger ça. Et s’il faut partir, nous partirons tous ensemble. C’est moi qui te le dis.

Scène7.

Les enfants entrent en courant face au public, les jumeaux côté Jardin, les sœurs de côté Cour.

Lili et Lilou.           Maman ! Papy !

Léo et Léa.           Papy ! Maman !

Lili.                       Les terroristes !

Léo.                      Ils arrivent !

Lilou.                    De l’autre côté de la colline !

Léa.                      Ils arrivent !

Lili.                       On les a vus.

Léo.                      Ils sont armés.

Lilou.                    Ils ont des jeeps.

Léa.                      Des bazookas.

Lili.                       Des fusils mitrailleurs.

Léo.                      Des kalachnikovs.

Lilou.                    Il y a du feu tout là-bas.

Léa.                      De l’autre côté de la colline.

Lili.                       La ville est en feu, Papy Canne.

Léo.                      Papy Pomme, la ville est en feu.

Lilou.                    Maman ! Ils arrivent.

Léa.                      Maman !

Lilou et Lili.           Maman !

Les mères apparaissent de chaque côté de la scène, leurs enfants courent vers elles, se jettent dans leurs bras. Tous sortent.

Scène 8.    

L’Amoureux sort de Jardin. La Cadette2 le poursuit.

La Cadette2.                   Où tu vas ?

L’Amoureux.         La chercher. Je dois la protéger. Je vais la chercher. Il faut se sauver. Je ne pars pas sans elle.

La Cadette2.         Miran ! Attends, je viens avec toi.

Apparaît la Benjamine2, toujours à Jardin.

La Benjamine2.     Vous allez où ?

La Cadette2.         En face.

La Benjamine2.     Faire quoi ?

L’Amoureux.         La chercher.

La Cadette2.         Les chercher.

La Benjamine2.     C’est quoi cette histoire ?

La Cadette2.         C’est le moment de faire des choix. Et ça, c’est le bon choix. Crois-moi.

La Benjamine2.     Je te crois. Allez-y, je vous rejoins. Je sais ce qu’il me reste à faire.

Elle ressort à Jardin. L’Amoureux et la Cadette vont à Cour.

Scène 9.

Le Fils sort de Cour et se plante devant l’Amoureux.

Le Fils.                  Qu’est-ce que vous venez faire là ?

L’Amoureux.         Je viens chercher Myriam.

La Cadette2.                   Les terroristes sont à nos portes. Il faut s’enfuir.

Le Fils.                  (Vers Cour) Papa, viens voir ! C’est les Pouilleux !

La Cadette2.         Vous ne croyez pas que ce n’est plus le moment des petites gueguerres entre voisins ?

Papy Canne entre.

Papy Canne.          Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Qu’est-ce que tu viens fiches chez moi, toi, Fils du Pouilleux.

Entre la Cadette1.

La Cadette1.         Papa ! Ce n’est plus le moment, je t’assure.

L’Amoureuse sort. Elle se précipite vers l’Amoureux.

L’Amoureuse.        Mon Dieu ! Miran, tu es venu.

L’Amoureux.         Je suis venu te chercher, Myriam.

Papy Canne.          Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Ma fille, je t’interdis ! Honte de ma vie !

La Benjamine2, Papy Pomme, la Fille aînée2, et les jumeaux entrent à leur tour, venant de Jardin.

Papy Pomme.       Mon Fils ! Lâche cette fille de Voleur ! Je t’interdis. Honte de ma vie !

La Cadette2.         Papa, c’est plus le moment !

Papy Pomme.       (À Papy Canne) Espèce de voleur ! Ton grand-mère a ruiné mon grand-père et maintenant tu veux me voler mon fils !

Papy Canne.          (À Papy Pomme) Espèce de pouilleux loqueteux, tu crois que j’ai envie d’héberger un mendiant chez moi !?

Papy Pomme.       (À Papy Canne) Mon fils n’est pas un mendiant. Mais ta fille est une trainée. T’es même pas capable de la surveiller.

Cadette1 et 2.        Ça suffit !

La Cadette1.         Y en a marre de vos histoires qui n’intéressent que vous !

La Cadette2.         Vos histoires de vieux ne nous intéressent pas. Fichez-nous la paix avec ça. Il y a plus urgent.

La Benjamine2.     On est venu vous chercher. Il faut partir.

Papy Canne.          Partir avec eux, jamais de la vie !

Papy Pomme.       Jamais !

La Benjamine1.     Elles ont raison. Il faut partir. Ensemble nous serons moins en danger.

La Fille aînée1.       Moi, je pars avec eux. (À ses filles) Venez les enfants.

Elle rejoint la Fille aînée2, avec les enfants.

La Fille aînée2.       J’ai fait du pain pour le voyage.

Le Fille aînée1.       Ne vous inquiétez pas, j’ai fait aussi beaucoup de provisions. Nous partagerons.

Léo.                      (À Léa) Tu crois qu’il y aura des brioches ?

Lili.                       (À Léo) Tiens, voilà la moitié de la mienne.

Léo.                      Merci.

Lilou.                    (À Léa) Et voilà la mienne.

Léa.                      Merci.

Le Fils les rejoint aussi.

Papy Canne.          Tarek ! Qu’est-ce que tu fais ?

Le Fils.                  Je pars aussi avec eux.

Papy Pomme.       Mais.

Papy Canne.          Mais.

Cadette1 et 2.        Taisez-vous les Papys !

Des bruits de bombardements et de tirs se font entendre.

 Silence et terreur dans tout le groupe. Soudain c’est la fuite en avant, ils courent vers le public, en criant. Les deux Papy se soutiennent l’un l’autre, et les suivent.

 Deuxième narration.

Benjamine1.          Nous avons tout laissé derrière nous. La colline. Les orangers et les citronniers. Le parfum des amandiers, des figuiers, celle des dattiers et des abricotiers. Les odeurs de la maison, celle du pain chaud, celle du feu de bois. Le bruit de la rivière au dehors et le coucher du soleil derrière le vieux chêne du village. Nous avons laissé la maison, avec ses murs et son toit. Les lits, les images sur les murs. La table de nuit. Les livres. Les photos. Les lettres. Les tombes. Surtout les tombes que plus personne ne connaîtra. Nous avons laissé le chaud de la maison et les sentiers que nous connaissions. Nous avons quitté la route que nous connaissions et tous les paysages. Alors nous avons été étonnés que notre ombre ait pensé à nous suivre. Notre ombre était la seule chose familière que nous avions emportée avec nous.

 Scène 10.

Alternance de noirs et de flash lumineux. Des bruits de bombardements et de tirs. Les réfugiés se déplacent, entre les travées dans le public, puis sur la scène.

Dans le noir, un tir. Un cri. Dans la pénombre le Fils tombe.

La voix de la Cadette1.   Tarek !

La voix de Papy Canne.  Mon Fils !

On entend les pleurs des enfants.

Dans la pénombre on aperçoit la Fille Aînée1 qui porte sa fille Lilou dans ses bras.

La voix de la Fille aînée1. Ma Lilou. Ma Lilou.

La petite voix de Lilou.   Maman…

La voix de la Fille aînée2. Elle est très fiévreuse. Il lui faudrait un docteur.

La voix de la Benjamine2.         Où trouver un médecin au milieu de cette apocalypse ?

La petite voix de Lili.      Elle va mourir maman ?

La voix de la Fille aînée1. Ma Lilou. Ma Lilou.

La voix de la Fille aînée2. La frontière n’est plus très loin. Nous trouverons des secours.

Noir à nouveau. Dans le noir, le cri de Lili.  

La voix de Lili.                Lilou !

On entend les pleurs des enfants.

Noir encore.

Dans la pénombre on voit les réfugiés s’approcher du devant de la scène. On aperçoit aussi la silhouette de trois gardes frontière, de dos.

Soudain, lumière.

Scène 11.

Garde1.                Halte ! On ne passe pas ! La frontière est fermée.

Papy Canne.                   Laissez-nous passer !

Papy Pomme.       Nous sommes des réfugiés.

Papy Canne.                   Nous fuyons la guerre.

Papy Pomme.       Nous fuyons les combats.

Papy Canne.                   Laissez-nous passer.

Garde1.                Nous ne laissons plus passer personne. Retournez d’où vous venez !

Papy Pomme.       Vous rigolez ou quoi !

Papy Canne.          Où voulez-vous qu’on retourne !

Papy Pomme.       Tout a été détruit.

Papy Canne.          Il ne reste rien. Nous n’avons plus rien.

Papy Pomme.       Nous sommes aussi démunis les uns que les autres.

Papy Canne.          Pauvres comme Job.

Papy Pomme.       Aussi pouilleux les uns que les autres.

Papy Canne.          Aussi loqueteux.

Papy Pomme.       Plus du tout prétentieux.

Papy Canne.          Plus du tout.

Garde1.                On ne passe pas, j’ai dit. La Frontière est fermée. Nous n’acceptons plus de réfugiés. Vous êtes bien trop nombreux. Retournez chez vous.

Papy Pomme.       Mais puisqu’on vous dit qu’on n’a plus de chez nous.

Garde1.                C’est pas mon affaire. Rentrez chez vous. On ne passe pas ! Un point c’est tout.

Les Filles aînées s’avance vers le Garde1.

La Fille aînée2.       Laissez-nous passer par pitié. Nous avons fuit les terroristes, nos maisons ont été détruites. Nous avons marché des jours et des jours avec nos enfants.

La Fille aînée1.       Mon frère est mort, tué par les terroristes. Ma petite fille est morte de fatigue dans mes bras. Pitié, madame. Laissez-nous passer. Nos enfants sont malades.

Garde1.                N’insistez pas mesdames. Vous ne passerez pas. La frontière est fermée.

La Cadette1.         Mais c’est inhumain !

La Cadette2.         Comment pouvez-vous laisser mourir les gens comme ça ?

La Cadette1.         Juste devant vos yeux.

La Benjamine2.     Puisqu’on vous dit qu’on ne peut pas revenir en arrière.

La Benjamine1.     C’est la mort assurée, là-bas.

Garde1.                On ne passe pas. Frontière fermée. Nous avons ordre de tirer sur ceux qui tenteront de passer.

Les enfants s’approchent du Garde2.

Léa.                      S’il vous plait, laissez-nous passer.

Léo.                      Juste un peu.

Lili.                       Juste un petit trou de souris.

Léa.                      On se faufile dans le trou de souris et vous…

Léo.                      Vous regardez ailleurs.

Léa.                      Et pffft, on est parti.

Léo.                      Ni vu ni connu.

Léa.                      Pffft, comme des toutes petites souris.

Lili.                       Vous voulez des sous. Mon Papy il en a plein.

Papy Canne.                   Je peux payer pour tout le monde. Vous voulez combien ?

Lili.                       Merci Papy.

Garde2.                Frontière fermée. Reculez !

L’Amoureux s’avance vers le Garde3.

L’Amoureux.         Laisse-nous passer ! On ne va pas rester parqués ici. Si nous restons ici, les terroristes vont nous rattraper.

Garde3.                Frontière fermée. Reculez !

L’Amoureux.         Laisse-nous passer, toi ! Quitte à mourir, autant mourir Libre !

Il pousse le Garde3 qui tombe. L’Amoureux s’avance vers le public. Mais le Garde2 tire. L’Amoureux s’écroule, inanimé. L’Amoureuse hurle.

L’Amoureuse.       Non ! Miran !

Elle se précipite à son tour vers le public, retenue un temps par ses sœurs. Mais elle passe.

 La Cadettes1 et la Fille aînée.    Myriam ! Non !

Le Garde1 tire à son tour. L’Amoureuse est touchée. Elle rampe jusqu’à l’Amoureux et perd connaissance.

Tous les autres réagissent violemment, assomment les gardes et passent la frontière. Tous sauf les Papys.

La Benjamine1.     Viens papa !

Léa et Léo.            Viens Papy !

Lili.                       Papy !

Papy Canne.          Non ma petite, je vais rester ici.

Papy Pomme.       Je reste aussi.

La Benjamine2.     Mais papa…

Papy Canne.          Ne vous inquiétez pas. On va rester là, tous les deux.

Papy Pomme.       Comme deux vieux frères.

Papy Canne.          Partez sans nous. On ne veut plus vous encombrer.

Papy Pomme.       On est trop vieux, on ne peut plus marcher. Laissez-nous.

Papy Canne.          Partez les enfants.

Papy Pomme.       Partez, dépêchez vous. D’autres gardes pourraient arriver.

Papy Canne.          Laissez les corps des petits ici. Nous veillerons sur eux. Ils sont mariés maintenant.

Papy Pomme.       Pour l’éternité.

Papy Canne.          Ellenna !

La Cadette1.         Oui Papa.

Papy Canne.          Veille bien sur elles.

La Cadette1.         Ne t’inquiète pas, papa.

Papy Pomme.       Helene !

La Cadette2.         Oui Papa, je veillerai sur eux. Ne t’inquiète pas.

Papy Pomme.       Sauvez-vous vite, maintenant.

Papy Canne.          Traversez le pays.

Papy Pomme.       Rejoignez la mer.

Papy Canne.          J’ai donné tout l’argent à Maya. Ça vous aidera à payer les passeurs.

Papy Pomme.       Surtout choisissez un canot solide, n’allez pas vous noyer dans la mer.

Papy Canne.          Allez- vite. Dépêchez-vous. D’autres gardes arrivent.

Papy Pomme.       Sauvez-vous.

Papy Canne.          Que notre amour vous protège.

Lili, Léa et Léo.     Papy !

Les deux  Papys.   Sauvez-vous !

Ils se sauvent, en remontant dans une travée.

Scène 12.

Papy Canne.          Voilà vieille peau, il ne nous reste plus qu’à mourir ici.

Papy Pomme.       Mourir dans notre pays.

Papy Canne.          L’exil n’était pas pour nous, camarade.

Papy Pomme.       Pourvu qu’ils puissent traverser.

Papy Canne.          Pourvu qu’on les accueille, là-bas.

Papy Pomme.       Pourvu.

Bruit de la mer.

Noir

Troisième narration.

Benjamine1.          Vous voulez savoir si on nous a accueillis, de l’autre côté de la mer que nous avons franchie ? Je ne le sais pas. Vous seuls pouvez me le dire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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