THÉÂTRE : Chronique locale de la Grande Guerre.
Pièce réalisée et jouée par les élèves de 5ème du collège Max Jacob (Josselin), sous la direction de Sandrine LMH. Spectacle commandé par l’Association « Mémoire du Pays de Josselin« , à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre, et créé avec la collaboration de ses membres (décor, costumes, affiches).
Été 1914. Dans le pays de Josselin. De retour des moissons, hommes, femmes et enfants de la famille se figent. Le toscin sonne. Le père et le tout jeune mari de Marguerite partent pour la guerre. Suivront le grand frère, les fiancés, les frères, les pères des amies de Marguerite. A l’arrière les femmes s’organisent. Les enfants mûrissent vite. Les familles s’endeuillent. L’espoir résiste.
Création 11 novembre 2014, au Centre Culturel L’Écusson, de Josselin.
Crédit photos : Association Mémoire du Pays de Josselin
Reprise en mai 2015 :
Crédit photos : Frédéric Jigorel
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Texte intégral :
Chronique locale de la Grande Guerre
Marguerite s’en va-t-en guerre
Personnages
Thomas : Jean le père.
Endjamila : Marie la mère.
Salomé : Marguerite la fille ainée, mariée à Pierre.
Fabien : Pierre le gendre, mari de Marguerite.
Mathys : Léon le fils ainé, fiancé de Claire.
Lola : Lise (dite Lisette) la fille cadette.
Jamy : Marcel le fils cadet.
Jehanne : Marie-Thérèse la grand-mère, mère de Jean.
Claire : Claire l’amie de Marguerite, fiancée de Léon.
Chloé : Georgette une voisine, infirmière à l’hôpital de Josselin.
Maeliss : Rose une voisine, employée au moulin de Josselin.
Lieu :
Salle commune de la ferme, aux alentours de Josselin, en Morbihan.
Époque :
De juillet 1914 à décembre 1918.
Scène 1.
Marie, Marie-Thérèse, Jean, Pierre, Léon et Marcel,
puis Marguerite et Lisette
Marie-Thérèse est assise dans son fauteuil, dans un coin de la pièce. Elle coud. Marie épluche des pommes de terre au dessus d’un seau. Les hommes entrent.
Jean. Ben de méssu, les gars ! On a bien harqué. S’il fait ce temps-là encore la semaine venant, la moisson sera bonne ! (Ils s’installent à la table) Léon et Marcel vous finirez de rentrer la paille d’orge à vêprée.
Léon. D’accord Papa.
Jean. Mon gendre ?
Pierre. Oui, le Père ?
Jean. Faudra penser à aller ferrer la jument, tantôt.
Pierre. J’y pensais, oui. Elle boite un peu.
Jean. Ma femme ! Sers-nous donc un peu de cafeu avec une beurrée. On va pas achommer. J’va encore faucher dans le haut du champ avant la netée.
Marie apporte les bols, en silence.
Marie-Thérèse. Jean, mon fils, va pas trop te fatiguer. T’as bien l’temps.
Jean. Tu sais bien, la Mère, que c’est que d’la joie pour moi, tout ça. Le p’tit vent sous le bleu du ciel. Les épis tout dorés que notre bonne vieille terre nous donne. On en a le dos tout moulu et les mains écorchées, mais c’est que du bon. C’est pas vrai, les gars ?
Léon et Marcel. Oh ! Si ! Papa.
Pierre. Sans compter que cette année, le grenier sera bien rempli. On n’est pas de trop à la ferme.
Jean. Il nous faudrait presque un garçon de plus. Vous les femmes vous pourrez pas suffire.
Marie regarde Jean, mais ne dit rien.
Marie-Thérèse. Tes deux filles s’occupent déjà d’aller vendre les légumes au marché à Josselin. Elles peuvent pas être partout.
Marguerite entre avec un panier. Elle le pose sur la table.
Marguerite. Au marché, ils disent que ça va mal.
Tous la regardent.
Jean. Ils disent quoi donc ?
Lisette entre à son tour.
Lisette. Ils disent que ça va être la guerre.
Marie-Thérèse. Parle pas de malheur, ma petite-fille.
Marguerite a posé sa main sur l’épaule de Pierre qui la lui prend. Marie a porté sa main à sa bouche. Elle fait tomber un bol. Tous regardent le bol au sol. Immobilité.
Scène 2.
Les mêmes
On entend le tocsin.
Lentement Jean se lève. Marie est allée chercher deux sacs qu’elle a posés sur la table. Elle en tend un à Jean. Lentement. Il le prend.
Jean. Sois pas si ébahie. Ça sera vite passé. On sera reviendu avant la Noël. Les Fritz ne feront pas le poids, crois-moi. Et puis, Pierre veillera sur moi ! N’est-ce pas mon gendre ?
Pierre. Pour ça, le Père, vous pouvez comptez sur mé.
Pierre se lève à son tour. Il met le deuxième sac sur son dos. Il prend Marguerite dans ses bras.
Pierre. (À Marguerite) Le pays m’appelle.
Léon. Moi aussi je veux partir.
Jean. T’es trop jeune mon fils. Et puis la ferme a besoin de toi.
Marcel. Je suis là, moi aussi.
Jean. Oui, Marcel. Il faudra bien aider Léon. Vous êtes les hommes de la maison, maintenant.
Pierre. Comment vous allez faire, pour la moisson et pour le reste ?
Marguerite. On va se débrouiller.
Lisette. Je suis là, moi aussi. On va se débrouiller.
Jean embrasse ses deux filles, puis sa mère, puis sa femme sur le front.
Jean. (À Marie) Pour les lettres, Pierre me donnera un coup de main. Prenez soin de vous.
Marie. Dieu te garde, mon homme.
Pierre serre une dernière fois Marguerite dans ses bras.
Les deux hommes sortent.
Marie pleure. Ses deux filles l’entourent.
Léon et Marcel les regardent.
Marie-Thérèse se cache le visage.
Immobilité.
Noir.
Scène 3.
Marie, Marie-Thérèse, Marguerite, Lisette, Léon et Marcel.
Claire, Rose et Georgette.
Trois groupes sur la scène :
1) Marie, Marie-Thérèse, Lisette et Marcel.
2) Marguerite et Claire.
3) Rose et Georgette.
Au milieu des femmes de sa famille, Marcel lit la lettre de son père.
Marguerite lit la lettre de Pierre.
Claire celle de son père.
Rose lit celle de son frère.
Georgette lit la lettre de son fiancé.
Claire, Rose, Georgette et Jeannette sortent.
Scène 4.
Marie, Marie-Thérèse, Marguerite, Lisette, Marcel et Léon.
Léon entre.
Léon. Marcel ! Faut venir m’aideu. Je m’en sors pas. La mère vache va bento ameiller.
Marcel. J’arrive !
Marie. Il a ses devoirs à faire.
Marcel. C’est pas la peine.
Marguerite. Si c’est la peine. Tu dois être bon à l’école. Tu l’as promis à Papa.
Marcel. C’est la guerre, grande sœur. Tu savais pas ?
Marguerite. Et alors ? Chacun doit faire ce qu’il doit, justement.
Marcel. Papa m’a demandé d’aider Léon.
Marie. Oui, mais il t’a aussi demandé d’être un bon élève. Tu finis tes devoirs avant.
Léon. Qui vient m’aideu alors ?
Lisette. Moi.
Marie-Thérèse. Non pas toi. Toi aussi tu as tes devoirs à faire.
Marcel. C’est une fille, c’est moins grave. On s’en fiche qu’elle soit bonne à l’école, elle.
Marguerite. Détrompe-toi, Marcel. Une fille aussi doit pouvoir faire des études. C’est tout aussi important. C’est la guerre au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Les instituteurs sont partis au front. On va avoir besoin d’institutrice. Et notre Lisette pourra très bien devenir institutrice, si elle travaille bien.
Léon. Qui vient alors ?
Marie. Moi.
Marguerite. Non, maman. Laisse. J’y vais.
Léon et elle sortent.
Scène 5.
Marcel, Lisette, Marie-Thérèse et Marie,
Puis Marguerite.
Les enfants font leurs devoirs à la table, avec plume et encrier sur leur cahier d’écolier. Marie-Thérèse coupe du pain pour la soupe. Marie entre, chargée d’un seau de pommes de terre et d’un seau de lait. Elle pose tout ça sur le coffre. Elle est fatiguée.
Marie. Tenez la mère, on pourra mettre un peu de patates dans la soupe. Et du lait aussi.
Marie-Thérèse. Ça remplacera le lard.
Marie. Il faudra attendre pour le lard. Le cochon n’est pas encore assez gras.
Marie-Thérèse. Si seulement, les filles pouvaient vendre davantage à la ville.
Lisette. (Levant le nez de son cahier). C’est pas de notre faute si on nous a réquisitionné la jument. Avant, on pouvait charger la grande charrette. Maintenant c’est la charrette à bras. On y met moins.
Marcel. (Interrompant sa copie) Il paraît que chez Mathurine on lui a pris son cheval. Pour tirer les canons.
Marie-Thérèse. Celui-là était bon pour les labours.
Marie. Elle n’a plus d’hommes chez elle. Comment elle va faire ?
Marguerite entre.
Marguerite. Comme les autres, elle fera comme les autres. Ce sont les femmes maintenant qui s’attèlent aux charrues.
Marie-Thérèse. C’est le monde à l’envers. Je ne reconnais plus rien.
Marcel. (Interrompant sa copie) C’est la guerre, Grand-mère.
Il reprend son travail.
Marguerite se penche au-dessus de son écriture.
Marguerite. (À Marcel) Tu écris une lettre ?
Marcel. Oui, à Papa.
Lisette. Tu lui dis quoi ?
Marcel. Que bientôt j’irai à la guerre à mon tour et qu’il pourra rentrer pour aider aux labours.
Marie. Dieu nous protège.
Scène 6.
Marie, Marie-Thérèse, Marguerite, Lisette, Léon et Marcel.
Claire, Rose et Georgette (en uniforme d’infirmière)
Les personnages circulent sur la scène. Ceux qui lisent s’arrêtent, puis reprennent leur marche.
Marcel lit la lettre pour son père. Lisette aussi.
Marguerite lit sa lettre pour Pierre.
Claire la lettre pour son père.
Rose lit celle qu’elle adresse à son frère.
Georgette lit la lettre à son fiancé.
Léon lit celle qu’il adresse à son père.
À la fin des lectures, les feuilles sont pliées et rangées dans des enveloppes.
Les personnages disent l’adresse et sortent.
Scène 7.
Claire et Léon
Léon assis. Il répare un outil.
Claire.
Claire. Bonjour Léon.
Léon. Bonjour Claire.
Claire. Marguerite n’est pas là ?
Léon. Non. Elle est au champ.
Claire. Ah ! Pardon. Je repasserai alors.
Léon. Claire, attends. Assieds-toi. On dirait que quelque chose ne va pas. Il s’est passé quelque chose ?
Claire. Oh ! Léon.
Elle s’assoit.
Léon. Vous avez reçu des nouvelles ?
Claire. Monsieur le maire est venu.
(Silence)
Léon. C’était pour ton père ?
Elle fait oui de la tête. Silence.
Claire. Il a été tué. Dans la Somme. (Silence) Son corps, ils vont l’enterrer là-bas. On n’aura pas de tombe ici.
Léon. Je suis désolé, Claire. Tu peux restée là, si tu veux, en attendant Marguerite.
Claire. Merci. T’es gentil.
Noir.
Scène 8.
Pierre, Léon et Marcel
Ils sont assis.
Pierre. Le plus dur c’est pour dormir Je ne sais même pas quand je vais pouvoir dormir comme avant. Depuis le début de ma permission, je ne sais plus. Dormir ici, dans un lit, j’y arrive plus. Dormir là-bas, c’est pas dormir tu vois. C’est quelques heures, par-ci par-là. Dans le froid. Dans la boue. Ils appellent ça Senlis-le-Sec. Tu t’enlises sec oui, mais t’es loin d’être au sec.
Marcel. C’est où Senlis ?
Pierre. Dans la Somme. Ben, tu vois, en somme, la Somme, c’est pas de tout repos. On n’est pas là pour faire un somme, crois-moi.
Ils rient.
Silence.
Léon. Et les combats ?
Pierre. Y en a pas. Ou quasiment pas. On s’est enterré. Bel et bien enterrés vivants. Parfois je me demande qui a de la chance : ceux qui survivent dans la tranchée ou ceux qui ont sautés ou qu’on a fauché lors d’une sortie.
Marcel. T’as tué des ennemis ?
Pierre. Une fois, je me suis retrouvé face à face avec un pauvre type, dans une tranchée allemande qu’on venait de reprendre.
Marcel. Un Frisé ?
Pierre. Un paysan comme moi. Il avait pris un coup dans le ventre. Il était déjà tout gris. Au milieu de toute cette boue, il avait des yeux d’un bleu incroyable.
Marcel. Tu l’as tué ?
Pierre. J’ai allumé une cigarette. Je lui ai mis dans la bouche. Il a tiré dessus. Deux fois. Il a voulu dire « Danke », je crois. Et il est mort. Tout seul. Il était mort et la fumée sortait encore de ses narines.
Silence.
Léon. Et la nourriture ?
Pierre. Le temps que la gamelle arrive, c’est froid. Y a rien de chaud dans ton ventre pour compenser. Tu sais, là-bas, ils ont pas mal de neige. C’est pas comme ici. La nuit, t’as les mains et les pieds qui gèlent. Les oreilles aussi. Alors faut faire attention aux rats.
Marcel. Les rats ?
Pierre. Oui, les rats. Si tu fais pas gaffe, ils te bouffent les oreilles.
Marcel. La Vache !
Léon. T’as perdu des copains ?
Pierre. Dans le 116e régiment d’infanterie, il y avait trois gars que j’aimais bien. Deux de chez nous, de Cruguel et de Lanouée, et puis un Normand. Je sais pas d’où il était vraiment. Je sais seulement qu’on lui disait « Le Normand ». C’était un rigolo. Toujours le mot pour rire. Toujours à nous remonter le moral. Celui-là, il a sauté avec un obus. Avant il courait. Après il se tordait comme une chenille, les mains sur les tripes, au milieu d’une mare de boue et de sang, au fond de son trou. Je me souviens de son cri. Je me souviens surtout de son cri quand il s’est arrêté. J’ai été soulagé, quand il s’est arrêté de crier.
Silence.
Marcel. Et les deux autres ?
Pierre regarde Marcel. Il ne peut plus parler.
Léon. Laisse, Marcel. Laisse-le maintenant.
Léon et Marcel sortent. Pierre pleure en silence.
Marguerite entre.
Marguerite. Pierre ?
Pierre se lève et sort.
Scène 9.
Marguerite et Claire,
puis Rose et Georgette
Marguerite est assise à la table. Elle boit dans son bol.
Claire entre.
Claire. Bonjour Margo.
Marguerite. Bonjour Claire.
Claire. Je suis venue te rapporter tes ciseaux.
Marguerite. Merci. T’as terminé ?
Claire. Oui. Je me suis fait deux caracos dans la chemise de papa.
Marguerite. Ça va chez toi ?
Claire. Maman est courageuse. C’est dur. On est toutes seules à la boutique. Mais ça va. On savait pas qu’on était capables de faire tout ça. Faut bien de toute façon.
Marguerite. Oui. On n’a pas le choix. Pour les gros travaux c’est dur. Mais pour le reste, il suffit de s’y mettre.
Claire. Et toi ?
Marguerite. J’ai peur. J’ai tout le temps peur. Pierre est revenu en permission, mais c’était plus le même. On n’était mariés que depuis quatre mois quand il est parti. Et c’est déjà un étranger. J’ai surtout peur qu’il lui arrive malheur. Comme à ton père, comme au frère de Rose. Comme à ce pauvre François qu’est revenu avec une seule jambe et la moitié d’un bras. Tu vois, j’ai déjà l’impression d’avoir perdu mon Pierre.
Claire. Dis pas ça, Margo. Il va revenir.
Marguerite. Même ça, ça me fait peur.
Claire. Dis pas de bêtises. Ta mère est au courant ?
Marguerite. Pas encore. Elle est à fleur de peau. Je l’entends pleurer la nuit. Elle est terrifiée à l’idée qu’ils vont bientôt venir lui prendre mon frère Léon.
Claire sursaute.
Claire. Mon Dieu, non ! Pas Léon !
Marguerite. Tu as le béguin, ma petite Claire ?
Claire. Je crois bien que oui.
Entrent, Rose et Georgette.
Georgette. On dérange pas ?
Marguerite. Pas du tout Georgette. Entrez donc ! On allait prendre le café.
Jeannette. On est venues te parler, Marguerite.
Marguerite. Asseyez-vous.
Georgette. Voilà. Tu sais que je travaille à l’hôpital de Josselin, comme volontaires.
Marguerite. Oui.
Georgette. Et bien. Il en manque.
Marguerite. De quoi ?
Georgette. De volontaires. Les blessés arrivent par convois entiers, de tous les fronts : la Somme, la Marne, la Meuse. Les Bretons sont plus touchés que les autres. Même notre Monsieur le Duc s’est fait tuer dans la Somme, cet été.
Rose. C’est une véritable boucherie. C’est les Bretons qu’on sacrifie.
Claire. Dis pas ça, Rose.
Rose. Je le pense. Ça fera bientôt deux ans que ça dure. Ça ne rime à rien. Et pourtant c’est chez nous que les hommes rentrent le moins. Je le sais. Ma cousine qui habite Paris dit que son mari dit pareil. On envoie nos garçons se faire enterrer vivants dans leur tranchées. Sans parler de tous les marins bretons tués en Belgique, en Grèce ou en Turquie. Et nous, les femmes, faut qu’on se débrouille. À la maison, j’ai encore deux petits frères et une petite sœur. Mon grand-frère a été tué. Notre père est quelque part dans un hôpital de la Nièvre. On sait même pas s’il reviendra. S’il avait eu six enfants, il ne serait pas parti. Mais voilà, on n’était que cinq. Ça n’empêche. Maintenant je me suis embauchée au moulin de Josselin pour gagner trois francs six sous. Et il y a encore ma mère à aider à la ferme. Le grand-père fait ce qu’il peut, mais son cœur va pas tenir.
Marguerite. (À Jeannette et à Georgette) Vous voulez que je vienne aider à l’hôpital, c’est ça ?
Georgette. Si tu pouvais, oui. Mais c’est pas facile tu sais. Tu peux pas imaginer l’état de nos héros. Y en a qui pleurent et appellent leur mère. Y en a d’autres qui serrent les dents. On ne sait même pas comment ils supportent leur malheur. C’était des beaux gars avant…
Marguerite. Comme mon Pierre.
Claire. Comme mon Léon. (Elle pleure).
Marguerite. Je vais réfléchir, les filles. Je ferai mon possible, moi aussi, pour servir mon pays.
Claire. Mais, Margo ! Dans ton état ! Tu vas pas pouvoir.
Marguerite. On verra.
Elles sortent.
Scène 10.
Marie, Marguerite et Marie-Thérèse
puis Lisette
Marie lave la table. Marie-Thérèse est dans son fauteuil. Elle coud.
Marguerite entre.
Marguerite. Maman ?
Marie. Oui, ma fille.
Marguerite. Je ne voulais pas te le dire.
Marie. Quoi ?
Marguerite. Au début, je ne voulais pas y croire. J’ai voulu croire que ce n’était pas possible. Et puis, j’en ai été sûre. Je l’ai écrit à Pierre. J’en ai parlé à mon amie Claire. Et puis à Jeannette, Georgette et à Rose. Elles me disent qu’il faut que je te parle.
Marie. Tu me fais peur. Qu’est-ce qu’il y a ?
Marguerite. Ça ne se voit pas vraiment. Mais ça va se voir bientôt. Ça aurait déjà dû se voir, en fait. Parce que ça fera quatre mois bientôt. Depuis la permission de Pierre.
Marie. Quoi ?
Marguerite. J’attends un enfant.
Marie. Oh ! Mon Dieu !
Marie-Thérèse pousse un cri. Elle se signe.
Lisette entre.
Lisette. J’ai tout entendu !
Marie. Que Dieu nous protège !
Lisette. On va avoir besoin de quelqu’un de plus à la ferme.
Marguerite. On va se débrouiller. Je suis encore bien vaillante.
Marie. Ne dis pas n’importe quoi !
Lisette. Et la cousine ?
Marie. Tu as raison Lisette. Je vais demander à ma sœur si elle ne peut pas laisser venir la petite Maria chez nous. C’est ma filleule après tout. Elle nous aidera.
Lisette. Youpi ! J’adore ma cousine !
Elle sort, joyeusement.
Marie-Thérèse. En voilà au moins une qui a le cœur joyeux !
Marie. C’est notre petit trésor !
Scène 11.
Léon et Claire
Puis Marie
Léon et Claire sont debout sur le devant de la scène. Ils se tiennent les mains.
Claire. Tu pars demain ?
Léon. C’est ça.
Silence.
Claire. Tu me promets de revenir.
Léon. Je te promets. La grande Faucheuse ne m’aura pas.
Silence. Claire baisse la tête. Léon lui touche le menton.
Léon. Sois courageuse. Je te promets qu’après la guerre on se mariera. Souris. Claire ! Souris, s’il te plait. Je vais avoir besoin de ton sourire pour tenir là-bas.
Claire lui sourit.
Claire. Je t’écrirai. Tous les jours. Je serai ta marraine de guerre.
Léon. Et après, tu seras ma femme de la paix. Allez, viens. Je te raccompagne. On va annoncer nos fiançailles à ta mère.
Ils sortent.
Marie entre. Elle les regarde sortir. Elle reste immobile au centre de la pièce.
Scène 12.
Marie, Lisette, Marcel, Marguerite, Marie-Thérèse,
puis Jean (en uniforme de soldat).
Marie est encore debout au milieu de la scène.
Lisette entre en courant.
Lisette. Maman ! Maman ! Papa arrive ! Papa arrive !
Marie se retourne lentement.
Jean entre. Il ne dit rien. Son visage est impassible.
Marie. Jean ?
Il ne répond pas.
Marcel, Marguerite et Marie-Thérèse entrent à leur tour.
Marie-Thérèse. Mon Fils !
Marcel. Papa !
Il se jette dans les bras de son père. Jean ne réagit pas.
Marcel. Tu es là pour combien de jours ? Après tu repars ? Tu as vu Léon ? Lui aussi il est à Verdun. Il parait que c’est une sacrée bataille ! Raconte, Papa ! Raconte ! Les Allemands vont perdre ! Hein ? Dis. On va gagner. Tu vas gagner la guerre, Papa. N’est-ce pas ?
Marguerite. Marcel ! Laisse Papa tranquille !
Lisette. Il est bizarre, Papa.
Marcel. (S’éloignant) Pourquoi, il est comme ça ?
Jean ne les regarde pas. Il se dirige vers sa chambre.
Marie-Thérèse se signe.
Ils le regardent tous sortir.
Marie. Mon Dieu ! Jean…
Noir.
Dans le noir, on entend le hurlement de Jean.
La voix de Marie.
Marie. C’est rien, mon Jean. C’est rien. Tu as seulement fait un cauchemar. Calme-toi maintenant. Rendors-toi. Ça va aller.
Jean hurle à nouveau.
Scène 13.
Lisette et Jean.
Lisette est assise par terre. Elle recoud son tablier.
Jean entre.
Elle se retourne.
Lisette. Papa ? Tu t’en retournes à la guerre. Tu repars, c’est ça ?
Jean. Lisette. Tu diras à ta mère qui je ne reviendrai pas.
Lisette. Papa ! Pourquoi tu dis ça ?
Jean. Dis à ta mère que je l’aime. Dis à Marguerite de donner mon prénom au petit, si elle veut bien. Dis à Marcel d’être plus courageux que son père. Adieu mon enfant. Pardonne-moi.
Il sort.
Scène 14.
Marie, Marie-Thérèse, Lisette, Marcel, Marguerite (un bébé dans les bras),
Claire, Rose, Jeannette et Georgette (en uniforme d’infirmière)
Trois groupes sur la scène :
1) Marie, Marie-Thérèse, Lisette et Marcel.
2) Marguerite et Claire.
3) Rose et Georgette.
Toutes les femmes sont en noir.
Marguerite berce sont enfant et chante le début de « Malbrough s’en va-t-en guerre ». Tous reprennent la chanson avec elle.
Malbrough s’en va-t-en guerre
Mironton, mironton, mirontaine,
Malbrough s’en va-t-en guerre
Ne sait quand reviendra (bis)
Il reviendra-z-à Pâques
Mironton, mironton, mirontaine
Il reviendra-z-à Pâques
Ou à la Trinité (bis)
La Trinité se passe,
Mironton, mironton, mirontaine,
La Trinité se passe
Malbrough ne revient pas (bis)
Scène 15.
Les mêmes
Mêmes groupes
Marcel et Lisette lisent un passage d’article de journal qui parle du front (le Chemin des Dames).
Marguerite berce son enfant. Claire lui lit la suite de l’article.
Rose et Georgette lisent la fin, à tour de rôle.
Rose. Ils appellent ça le Chemin des Dames. Qu’est-ce qu’elles leur font ces Dames pour qu’il en meurt autant ?
Georgette. Ce sont des Sirènes.
Lisette. C’est l’Ankou qui laboure les terres de là-bas.
Rose. Ils appellent ça le Chemin des Dames.
Georgette. Les Dames de la damnation.
Marguerite. C’est nous les Dames ici.
Rose. Les Dames en noir.
Marcel et Lisette commencent le refrain de la Chanson de Craonne.
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C’est nous les sacrifiés !
Marie-Thérèse. Je suis la dame en noir. J’ai enterré mon mari. On ne m’a pas rendu le corps de mon fils. Mon petit-fils ne revient pas.
Rose. Je travaille à la ferme et au moulin de l’Oust, à Josselin. Ils ont besoin de farine pour le pain des soldats.
Georgette. À l’hôpital, le soldat de 2ème classe suppliait qu’on ne lui coupe pas la jambe. Je lui ai tenu la main jusqu’à ce qu’il s’évanouisse.
Marguerite. Mon petit Jean, la prochaine guerre, ce n’est pas toi qui la feras. Ce sera moi.
Marie. Ma fille aînée a un enfant qui n’aura peut-être pas de père.
Lisette. Maman a beaucoup vieilli. Marguerite a eu un beau bébé. Le blé pousse bien. Les pommiers ont tous refleuri.
Georgette. La plupart des femmes ici font deux métiers. Partout, elles ont remplacé les hommes. Elles pleurent et font le métier de leurs hommes.
Scène 16.
Les mêmes
Georgette. (À Marguerite) Marguerite ! Marguerite ! Ton Pierre est à l’hôpital de Josselin !
Marguerite. À l’hôpital ?
Georgette. Il est arrivé par le dernier convoi. Il a été brûlé par le gaz moutarde. Ses poumons sont touchés. Il est très faible, mais il a demandé à te voir. Il veut voir le bébé aussi.
Marguerite se lève. Elle sort en courant, suivie de Georgette.
Scène 17.
Marie, Marie-Thérèse, Lisette, Marcel, Claire et Rose,
puis Marguerite.
Marcel et Lisette racontent les batailles victorieuses des derniers cents jours de la guerre.
Marguerite entre. Au milieu du récit de Marcel, elle dit :
Marguerite. S’il n’y avait pas eu la grippe espagnole, mon Pierre serait toujours en vie.
Marie-Thérèse se lève et prend silencieusement l’enfant des bras de Marguerite. Elles sortent.
Marie les suit.
Marcel et Lisette ont terminé leur récit. Lisette regarde son frère et Rose, sourit et sort.
Marcel se lève. Il vient se placer en face de Rose.
Marcel. La guerre est finie Rose. Je suis un homme maintenant.
Rose le regarde et sourit.
Il lui tend la main et la relève.
Ils sortent, main dans la main.
Scène 18.
Claire, puis Léon.
.
Claire est restée seule. Debout au milieu de la scène.
Entre Léon.
Ils se regardent.
Claire. Tu es revenu.
Léon. Je te l’avais promis.
Noir.
On entend les cloches du mariage sonner.
C’était une super pièce, j’ai adoré jouer Lisette ! 🙂 Merci Sandrine!
– Lola