La Petite (chez Christophe Chomant Éditeur, novembre 2019), création 2019-2021, par Karyne Puech du Tapis Bleu.

La Petite

Le Théâtre du Tapis Bleu crée actuellement une adaptation libre et originale de ce texte.

Texte écrit sur une idée de Karyne Puech, comédienne, en hommage à sa grand-mère, Mamie Gilou.

L’écriture est née lors de la résidence de création à la Quincaille de Poullaouen, au pied des Monts d’Arrée, au printemps 2017 (12-16 avril 2017).

Un extrait de cette pièce a été donné au « Primo Théâtro » de Huelgoat en Finistère, le 1er mai 2017.          Programme Primo Théâtro 2017

Karyne Puech

en résidence à la Quicaille de Poullaouen (29).

https://cie-theatre-du-tapis-bleu-1.jimdosite.com/

Toujours c’est vraiment très très long

SOLO / THÉÂTRE
Adaptation de « La Petite » de
Sandrine LEMEVEL-HUSSENET

Première le jeudi 30 septembre 2021 au centre culturel Grain de sel à Séné – 56

Note de l’auteure

Mamie Gilou, la vraie, est la grand-mère de Karyne Puech qui porte ce projet de création depuis plusieurs années déjà. Depuis plusieurs années, elle est la recherche de sa grand-mère. Elle n’est pas la seule à creuser la terre pour y trouver ses racines, pas la seule à avoir dû faire le deuil d’une grand-mère essentielle, pas la seule à savoir les monstres cachés dans les caves.

Alors, d’abord, elle est allée voir les autres. Les autres petits-enfants qui ont eu des grand-mères, des petits et des vieux. Ceux qui ont gardé des souvenirs bien vivants et des objets parlants, simples et symboliques. Elle a glané et m’a confié une partie de sa récolte. J’ai entendu les gens dire leur lien aux ancêtres, la puissance d’amour ou de colère et leur attachement aux objets, témoins de ces liens. J’ai découvert les arbres de la généalogie et entre les mots tous les non-dits.

Mais je sentais qu’au milieu de toutes ces réalités et cette humanité multiple, nous devions revenir à l’essence de la quête de Karyne, à l’essentiel du « dire ». Le sien (et aussi le mien). Alors, elle est allée chercher l’eau à la source : elle a fait parler sa propre mère et son propre père, est remontée dans l’arbre de ses ancêtres pour retrouver ses origines, réveiller les monstres et affronter la mort.

Dans son projet, il y avait aussi depuis longtemps le désir de faire parler les objets, au-delà de l’objet-vivant, l’objet-âme… l’objet-passeur des mondes, objet-fétiche. Retour à l’animisme des premiers temps. Après avoir collectionné les objets des autres, elle est allée chercher les siens : ceux qui la lient encore à sa Mamie Gilou. Elle a aussi rapporté les albums de photos noir et blanc et polaroid de toute la famille paternelle et maternelle avec tous les récits et les demi-mots, les clairs-obscures, les ombres et les lumières. Et les poupées gigognes…Et de tout cela, elle m’a fait cadeau.

J’ai tout écouté et beaucoup entendu. Je me suis laissée traverser, imprégner, habiter. J’ai un peu mélangé les grands-parents, les lieux, les générations et les histoires, les monstres surtout et tout l’amour pour Mamie Gilou. J’y ai mêlé, je l’avoue, un peu de mes propres souvenirs. J’ai rapporté la pelote de fil en Bretagne, sur les Monts d’Arrée. J’ai fixé un temps, une image, une seule et unique pièce et j’ai invité l’écriture.

Le lieu de résidence pour cette création a été La « Quincaille » de Poullalouen. Et c’est en ce lieu, parce qu’il y a un plateau nu dans la pénombre, un vieux parquet, une porte qui s’ensoleille à cour, une porte sombre à jardin, parce que pour écrire il y a une vieille cuisine avec une toile cirée sur la table et des bols ébréchés et une chambre mansardée avec son petit bureau bancale, que je me suis mise en écriture : tout y est, toute l’histoire, la présence des personnages et des objets, et l’intensité du plateau qui n’attend plus que la lumière pour s’animer.

J’écris pour Karyne, seule en scène, et je l’entends. C’est sa voix que j’écris. C’est elle qui parle et c’est d’elle dont parlent les objets de la maison qui s’animent quand ils évoquent la « Petite ».

Alors, puisque c’est elle leur héroïne, la petite-fille de Mamie Gilou qui vient de mourir et qui repose dans la pièce à côté, celle qu’ils nomment la « Petite » venue affronter les monstres de la cave et tout réconcilier, le titre s’est imposé lors des premières lectures : ce sera « La Petite ».

Sandrine Le Mével Hussenet

Extrait

Tableau 1

Pénombre. La Petite-fille entre par cour. En entrant elle fait aussi entrer la lumière du jour. Elle reste sur le pas de la porte.

La Petite-fille.     Il y a quelqu’un ?

Silence. Finalement elle referme la porte derrière elle (extinction de la lumière du jour). Elle pénètre dans la pénombre qui s’éclaircit peu à peu. Elle est au centre du plateau avec sa valise qu’elle a posée à côté d’elle.

La Petite-fille.     Je suis bête.

Silence. Elle regarde autour d’elle.

La Petite-fille.      C’est impressionnant. (Silence) C’est la voisine qui est venue me prendre au bus à Huelgoat. Je n’ai pas de voiture. On va me prêter un vélo, pour les courses. (Silence, elle regarde côté jardin). La voisine m’a dit qu’elles t’avaient mise dans ta chambre. Je vais entrer. (Elle ne bouge pas, elle reste au centre du plateau) Je suis venue pour ça. (Silence) Elle m’a dit qu’elles avaient fait ta toilette. Elle voulait savoir si je voulais te brosser les cheveux. La mise en bière est demain. (Silence) Je vais te brosser les cheveux. J’ai dit oui. Je vais le faire.

Elle se déplace. L’endroit où elle se place s’éclaire. Elle ouvre une coiffeuse. S’immobilise. Prend une brosse. La touche. La repose. Ouvre un tiroir. Se penche. Prend un objet. Le regarde longtemps. Le repose. Referme le tiroir. Le lieu s’éteint. Elle revient au centre à côté de sa valise. Il fait moins sombre.

La Petite-fille.      Je le ferai plus tard. (Silence) Il y avait l’odeur de tes poudres de maquillage dans la coiffeuse. Je crois que l’odeur s’est échappée quand j’ai ouvert. J’ai eu tort de l’ouvrir. Le parfum est parti et ne reviendra plus. J’ai peur. Il y a toujours la cave sous la maison, n’est-ce pas ? Sous toute la surface de la maison, il y a la cave. Si j’ouvre la porte de la cave, l’odeur va s’échapper de la cave et elle va entrer dans toute la maison. Je ne veux pas qu’elle sorte de la cave. Je ne l’ouvrirai pas.

Elle retourne à l’endroit de la coiffeuse, qui s’éclaire.

La Petite-fille.      Tu ne m’avais pas dit que tu avais gardé les coiffes de ta mère. Amidonnées. Rangées dans le tiroir de la coiffeuse. Avec les épingles. Quelle histoire de broder ça et de se le mettre sur la tête. Mamie Gilou, tu aurais pu me le dire. Me les montrer. M’apprendre à en mettre une sur ma tête. Taol an dra-se war ma fenn, plac’hig[1] . Mais tu ne savais peut-être pas le faire. C’est ta mère qui savait. C’est ça ?

[1] : Pose-moi ça sur ta tête, ma fille ! (en Breton)

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