THÉÂTRE : Création des Compères 2017. Atelier théâtre du lycée Ampère de Josselin (56), sous la direction de Sandrine Le Mével Hussenet et de Liliane Dauteuil.
Création collective : choix du thème (la radicalisation) et des sous thèmes (vie urbaine, exclusion, abandon, délinquance, services sociaux, monoparentalité, fratrie, SDF, bavure policière…) ; invention des personnages par chacun des comédiens (âge, passé, destin, caractère, lien avec les autres) ; création collective du scénario ; découpage en scène et improvisations ; écriture ; mise en scène ; choix d’une scénographie épurée (plateau nu, sauf quelques cubes noirs ou gris) et de costumes « ordinaires ».
L’histoire : Un flic tire sur un jeune au commissariat ; un garçon rentre de Syrie et retrouve son grand frère qui le prie de se livrer ; un délinquant échappe à la vigilance de sa grande sœur et commence à se radicaliser ; un SDF héberge un flic en cavale ; un autre flic aidera le djihadiste repenti à se rendre ; un jeune de la rue perd un ami mais se choisit un père… Petit à petit le puzzle se construit, les liens entre les personnages se dévoilent et se tissent. Entre abandon, délinquance, lâcheté et radicalisation l’ombre s’épaissit ; puis la lumière vient qui parlera de rencontres, de fraternité, de révélations, d’honneur, de retrouvailles et d’amour. Pour chacun la part de Soleil !
Crédit photos : Marie-Laure Bourven
TEXTE INTÉGRAL
La part de soleil
Pièce des Compères 2017
Écrite sous la direction de Sandrine Le Mével Hussenet
Comédiens personnages
Brendan Brendan, flic, coéquipier de Brian
Brian Brian, flic, coéquipier de Brendan
Timour Timour, djihadiste repenti, petit frère de Thomas
Thomas Thomas, grand frère de Timour
Goelvenn Goelvenn, délinquant, en cours de radicalisation, frère de Callista
Louise Callista, sœur de Goelwenn
Gaetan Gaetan, délinquant, orphelin, ami de Goelwenn
Thibaud Thibaud, ami d’enfance de Goelwenn, amoureux de Callista
Tom Tom Bufiz, SDF
Davy Korri, éducateur de rue
Acte I
Scène 1.
Brendan et Brian
Brendan est seul. Un coup de feu retentit. Brian entre par le fond. Hébété. Il veut dire quelque chose, mais ne peut pas.
Brendan. C’était quoi ?
Brian. Je…
Brendan. Il s’est passé quoi ?
Brian. Brendan.
Brendan. Quoi ?
Brian. J’ai fait une connerie.
Brendan. Tu…
Brian soudain se sauve à jardin.
Brendan. Brian ! Qu’est-ce que t’as fait ? Brian !
Scène 2.
Tous (en silhouettes).
Bruit de foule en colère. Brendan sort par le fond. Les jeunes cagoulés et foulard devant de nez entrent par cour. Manifestation. Émeute. Cris. La foule sort à jardin.
Scène3.
Thomas et Timour
Thomas est seul. Entre Timour par jardin.
Timour. Salut.
Stupéfaction de Thomas. Puis il se précipite et prend Timour dans ses bras. Longtemps.
Thomas. T’étais où bordel !? T’étais où ?
Timour. C’est compliqué.
Thomas. Six mois. T’as disparu six mois. Un sms à maman il y a cinq mois. Et c’est tout. Les flics ont dit que t’étais en Syrie. On t’a cru mort.
Timour. Maman. Elle est là ?
Thomas. Partie pour une semaine aider la cousine qui vient d’avoir un bébé. Ça lui change les idées. On se raccroche à la vie quand y en a. Elle est folle d’inquiétude et d’incompréhension depuis six mois. Je sais même pas comment elle a tenu. Qu’est-ce que t’as fichu, bordel ?
Timour. J’étais perdu.
Thomas. C’était quoi ton problème ?
Timour. Je sais pas. L’envie d’être utile. De trouver à sens à tout ça. Mais c’était pas ça. C’était pas ça du tout.
Thomas. C’était comment ?
Timour. L’enfer.
Thomas. Tu peux m’en parler.
Timour. Non, je peux pas. Y a pas les mots pour ça. J’ai trop d’images à effacer. Je sais même pas pourquoi je suis vivant. Je sais même pas comment j’ai fait pour réussir à rentrer.
Thomas. On aurait pu t’aider.
Timour. Si j’avais tenté de vous contacter, les mecs de Daesh m’auraient attrapé. Ils n’ont aucune pitié pour les repentis. Je suis un traître à leurs yeux maintenant.
Thomas. Depuis quand t’es en France ?
Timour. J’arrive direct de l’aéroport.
Thomas. Alors les flics vont te chercher. Faut que t’ailles les voir.
Timour. C’est mort.
Thomas. Tu vas pas pouvoir fuir toute ta vie. Te cacher où ? Disparaître encore ? La police va te traquer. T’étais perdu, t’as dit. C’est le moment de faire les bons choix. Faut que t’assumes petit frère. Tu dois faire face à tes responsabilités, maintenant. Et tu seras toujours mieux entre les mains de la justice française qu’entre les mains des tortionnaires de Daesh, tu crois pas ?
Timour. Et maman ?
Thomas. C’est à maman que je pense, justement.
Timour. Aide-moi.
Thomas. Viens. Je connais quelqu’un.
Thomas sort avec Timour qu’il tient par les épaules, à jardin.
Scène 4.
Callista, Goelvenn, Gaëtan, Thibaud.
Callista est seule. Entre Goelvenn suivi de Gaëtan et Thibaud, par cour. Les garçons s’installent. Callista reste debout.
Callista. (À son frère) Qu’est-ce que t’as encore fait ?
Goelvenn. Ça te regarde ?
Callista. Évidemment que ça me regarde.
Goelvenn. J’ai pas de compte à te rendre.
Callista. J’en ai assez de ton comportement.
Goelvenn. T’as rien à me dire. T’es ma sœur, pas ma mère.
Callista. Parce que tu crois qu’elle serait fière de toi, maman ? Tu crois qu’elle aurait aimé que les flics appellent à la maison pour savoir où tu es.
Goelvenn. Les keufs t’ont appelé ?
Callista. C’était quoi cette fois ?
Goelvenn. Rien à dire.
Gaëtan. On n’a rien fait.
Callista. Je ne te parle pas à toi, Gaëtan. Je parle à mon frère.
Gaëtan. Hé ! Tu lui parles pas comme ça.
Callista. Qu’est-ce que vous avez fait ?
Goelvenn. On n’a rien fait, wesh !
Callista. Vous étiez où ?
Goelvenn. Tiens ! (il lui tend des billets) Pour payer les charges.
Callista. D’où ça vient ?
Goelvenn. J’ai travaillé
Callista. Travaillé ?
Gaëtan. On a fait des jardins.
Goelvenn. On a aidé une petite vieille. Une histoire de portable.
Gaëtan. On s’est occupé de son jardin.
Callista. Vous vous fichez de moi ?
Gaëtan. C’était une petite blague. Rien de grave.
Goelvenn. De toute façon, ils ne savent pas que c’était moi.
Callista. Ha ?
Gaëtan. Balance pas.
Goelvenn. Ta gueule.
Callista. Je t’interdis de t’exprime comme ça ici.
Goelvenn. Ça c’était bon du temps de maman. Y a plus personne ici.
Callista. Y a moi. Tu te trompes de chemin, p’tit frère. Tu vas droit dans le mur. Tu dégénères.
Goelvenn. Qu’est-ce t’as ? Tu te prends pour qui ? T’as pas de leçons à me donner ! Tu te crois meilleure que moi, c’est ça ? Tout ça parce que t’es plus blanche que moi ? Mais dans tes veines de frangine, c’est le même sang qui coule. Toi aussi t’es la fille du fromage blanc, la super baltringue qui nous a tous abandonnés sans donner de nouvelle. Toi aussi t’es la fille de la renoi qu’en a tellement bavé toute seule qu’elle s’est fait bouffé par le crabe à la vitesse grand V.
Thibaud. Le respect, tu connais ?
Goelvenn. D’où tu me parles, toi ?
Thibaud. J’en ai marre de tes conneries !
Goelvenn. Ta gueule ! Si c’est pour faire ta balance, t’as rien à foutre chez moi.
Callista. C’est chez moi aussi.
Goelvenn. Il sort.
Callista. Il reste. Je suis très contente qu’il soit là.
Goelvenn. Il ferme sa gueule alors.
Callista. Il l’ouvre si je veux. Et je veux. Parle Thibaud, s’il te plait.
Thibaud. J’en ai marre de payer pour tes conneries. Tous les jours, les mecs au lycée viennent m’emmerder. « Ton copain nous doit de l’argent… » ; « Tu diras à ton copain… » J’en ai marre de me faire tabasser à cause de toi. C’est toujours la même chanson. C’est moi qui prends depuis que t’es plus au lycée. T’es dans la rue.
Goelvenn. Je bosse.
Thibaud. Me fais pas rire. C’est pas un job. Où tu crois aller comme ça ? Avec deux phrases dans ton CV. Moi je m’accroche. Même si c’est dur, je m’accroche. Je lâcherai pas. Et pourtant moi aussi j’en ai bavé. Tu le sais. Moi aussi j’ai perdu mes repères. Moi aussi j’ai plus d’père. Et moi c’est ma mère qui m’a fichu à la rue.
Goelvenn. Tu vois bien que toi aussi t’es à la rue.
Thibaud. J’suis pas à la rue. J’ai Korri, l’éduc. Si tu l’avais pas envoyé(e) péter, il (elle) serait là pour toi aussi. Sauf que toi, t’as tout balancé. T’as laissé tomber les études, du jour où t’as perdu ta mère.
Goelvenn. Parle pas de ma mère. Elle est pas là ma mère.
Thibaud. Si elle est là.
Goelvenn. Elle est pas là.
Thibaud. Elle est là et elle te regarde. Tu traines dans la rue. Tu fais tes p’tits trafics. Bientôt les braquages.
Goelvenn. C’est pas moi. J’étais pas là.
Callista. C’est quoi cette histoire de braquage ?
Gaëtan. T’inquiète. On gère.
Goelvenn. Toi, tu dis rien !
Gaëtan. C’était pour aider. J’suis ton pote. J’ai droit à la parole. C’est un peu chez moi, ici aussi.
Callista. Oui, depuis que tu squattes chez nous. Goelvenn, c’est quoi cette histoire de braquage ? La police m’a parlé du braquage d’une épicerie. C’était toi ?
Goelvenn. Ils m’ont repéré. Évidemment, j’étais le seul noir de la bande.
Thibaud. Je croyais que t’étais pas là.
Goelvenn. Tu veux la fessée.
Callista. C’était toi, le braquage de l’épicerie ?
Goelvenn. T’es flic ?
Callista. Non, je suis ta sœur.
Gaëtan. T’inquiète. On a couru. Ils nous ont pas eus.
Goelvenn. On est tranquilles, tant que personne nous balance. (Regard sur Thibaud)
Thibaud. Pourquoi tu me regardes comme ça ? J’suis pas une balance. Tu le sais très bien. Mais toi t’es une belle baltringue.
Goelvenn se lève.
Thibaud. T’étais mon meilleur pote avant. Mais maintenant tu vaux pas mieux que ton père.
Goelvenn et Thibaud se battent. Gaëtan intervient pour aider Goelvenn.
Callista. Espèces de lâches ! À deux sur le même ! (À Goelvenn) Sors d’ici Goelvenn. Et toi, Gaëtan, puisque t’es son ombre, tu sors aussi. Les lâches n’ont rien à faire dans cette maison. Sortez ! (Ils sortent à cour, Thibaud les suit.) Non, Thibaud, reste, s’il te plait.
Il revient s’asseoir. Elle ausculte un peu son visage.
Callista. Ils t’ont bien amoché.
Thibaud. J’ai l’habitude. C’est rien.
Callista. Quelle idée d’aller lui parler de papa.
Thibaud. Ça m’est sorti tout seul. Il est tellement décevant. On est potes depuis la maternelle. J’aurais jamais cru qu’il allait tourner comme ça.
Callista. Moi, non plus. (Silence) J’en peux plus, Thibaud, tu sais. C’est trop dur.
Thibaud. Je sais. Reste forte. Moi j’ai perdu un ami, mais toi, ne perds pas ton frère.
Callista. Je vais essayer. T’es un mec bien, Thibaud.
Callista. J’essaie. Merci.
Ils sortent. Thibaud à cour, Callista à jardin.
Scène 5.
Tom et Brian
Éclairage à cour. Brian est caché dans l’abri du SDF. Tom arrive du public. Il découvre Brian.
Tom. Qu’est-ce que tu fais chez moi ? T’es chez moi là. Hé ! J’te cause. Qu’est-ce que tu fais dans mon carton ? Va squatter ailleurs. / C’est quand même un monde de voir ça ! / Tu dis rien et tu t’incrustes ? T’es de quelle race toi ? Bernique ou Bernard l’Hermite ? (à la cantonade) Hé ! Les mecs ! Y a un type dans mon carton ! (à Brian) Faut pas rester là. Y a d’autres cartons. Va voir du côté de chez Gus, sous le pont plus loin. Il a tout plein de cartons. Il trafique les cartons pour l’hiver. (à la cantonade) Hé ! Gus ! T’as un client ! (à Brian) Va voir Gus. Ou Robert. Robert c’est un hospitalier. Il a donné sa chemise quand il en avait une. (à la cantonade) Robert ! Y a un type qui pourrait te réchauffer dans ton carton ! Ça t’intéresse ? Il est pas causant par contre. Ça te fera bouillotte ! (à Brian) Parce que tu vois, Robert il a perdu son chien et une bouillotte c’est chaud et ça cause pas. / T’es quoi toi ? Une bouillotte ou un crustacé ? (à la cantonade) Hé ! Les gars ! J’ai un coquillage dans mon carton ! C’est pour Paris plage ! (à Brian) T’es toujours aussi muet. Hé ! Mec ! J’te cause. T’es dans mon carton, là. Faut bouger. Ou bien faut causer. Faudrait voir à choisir. Tu te casses ou tu causes. / T’es dans la merde c’est ça ? C’est quoi ton problème ?
Brian. J’ai besoin d’une planque. J’suis en cavale.
Tom. (à la cantonade) Oh ! Putain ! Y a un mec en cavale dans mon carton. (à Brian) Hé ! J’veux pas d’un mec en cavale dans mon carton. J’veux pas avoir à faire avec la police, moi. Chacun chez soi. Les poulets dans leur cage, les clodos dans leur carton. Faudrait voir à pas confondre. / T’as pas l’air joyeux comme gars. T’es en cavale ou t’as le cafard ?
Brian. Les deux.
Tom. T’es descendu bien bas. T’as pas l’air d’un SDF. T’as plutôt l’air d’un mec sain et en bonne santé. Qu’est-ce que t’as fait ?
Brian. J’ai tué un gosse.
Tom. Oh ! Putain ! (à la cantonade) Hé ! Les mecs ! (à Brian) T’as fait quoi ? T’es un ouf ! Toi ! Un assassin dans mon carton ! (à la cantonade) Hé ! Les mecs ! (plus bas) y a un assassin dans mon carton. (à Brian) T’es pas armé au moins ? (Brian lui montre son arme de service) Oh ! Putain ! (à la cantonade) Oh ! Putain ! Les mecs ! (plus bas) y a un assassin armé dans mon carton. (à Brian) T’es un mec dangereux toi ! Et c’est mon carton que t’as choisi. Tu pouvais pas en trouver un autre ? Y’en a tout plein des cartons dans cette putain de ville. Eh ben non. Toi, faut que tu t’incrustes chez moi. / Et c’est une habitude, chez toi, de flinguer des gosses ? Vu que je suis plus un gosse, je risque quand même quelque chose ou pas ?
Brian. C’était une bavure.
Tom. Une bavure ? T’es quoi, un mafieux ou un flic ?
Brian. Flic.
Tom. Oh ! Putain ! (à la cantonade) Hé ! Les mecs ! Y a un flic dans mon carton ! (à Brian) Faut pas rester là monsieur ! Faut retourner avec vos copains. Là c’est un carton de SDF, c’est pas une cage à poulets. Vos copains doivent s’ennuyer sans vous. Un flic assassin armé en cavale dans mon carton c’est un truc pas possible. Seulement pas possible, tu vois. / Qu’est-ce qu’il t’avait fait le môme ?
Brian. Rien.
Tom. Te fiche pas de ma poire, flic en cavale ! C’était toi la bavure au commissariat ? C’était à cause de toi les émeutes ? Tellement bien que Gus, Robert et moi, on n’a pas pu fermer l’œil de la nuit pendant cinq jours. / Alors raconte. Ça s’est passé comment ?
Brian. J’ai jamais voulu ça. On avait arrêté une bande de dealer. On les avait mis au frais. On a pris le plus jeune, pour l’impressionner, pour qu’il cause plus vite. On l’a un peu asticoté. Il causait toujours pas. Il était tard. On était crevés. Ça faisait des jours qu’on était sur la piste d’un gros bonnet. Fallait que le p’tit crache le morceau. J’ai eu l’idée de sortir mon arme, histoire de lui faire peur. De lui délier la langue. Il a fait le mec qui en a vu d’autres. Petite frappe de banlieue qu’à peur de rien. Ça m’a énervé. Je lui ai mis le canon sur la tempe, histoire de lui rabaisser son caquet de p’tit coq. Il a souri. J’ai gueulé. J’ai fait semblant d’appuyer sur la détente. J’ai fait juste semblant. C’était juste pour lui faire lâcher son sourire de p’tit mac. J’ai appuyé, pour faire semblant. J’avais pas mis la sécurité. Pour la première fois de ma vie, j’avais pas mis la sécurité.
Tom. Et le coup est parti ?
Brian. Le gamin s’est effondré sur sa chaise. C’était plus un sourire sur son visage. Juste une surprise. La même sur le visage des collègues. J’ai cru que le temps s’était arrêté. J’ai vu tout en ralenti. J’suis sorti. J’ai vu Brendan, dans le hall.
Tom. C’est qui Brendan ?
Brian. Mon coéquipier. Le meilleur mec que je connaisse.
Tom. Un bon flic ?
Brian. Un bon flic.
Tom. Un bon gars ?
Brian. Un bon gars.
Tom. Alors, t’as vu Brendan et après ?
Brian. J’ai pas pu affronter son regard à lui. C’était pas possible.
Tom. Y a pas pire que les regards.
Brian. Je me suis sauvé.
Tom. Je comprends.
Brian. Je suis perdu.
Tom. Hé ben toi, on peut dire que t’as gagné le gros lot ! Flic. En cavale. Assassin armé. Tueur de gosse. Faiseur d’émeutes… Et il était de quelle couleur ton gosse ?
Brian. Comment ça ?
Tom. Il était noir, marron ou blanc ?
Brian. Noir.
Tom. Oh ! Putain ! Quel âge ?
Brian. 17.
Tom. Oh ! Putain ! Grand ou petit ?
Brian. Pas grand.
Tom. Oh ! Putain ! J’ai la trouille.
Brian. De quoi ?
Tom. J’ai un fils. J’avais un fils et une fille. Je les ai pas vus depuis cinq ans. Mon fils, il est noir, il a 17 ans et il a jamais été bien grand. De moi il a rien hérité, sauf de mes cheveux. Et encore. C’est plutôt ceux de sa mère. Mon gamin, il s’appelle Goelvenn. Goelvenn Bufiz. Bufiz c’est mon nom. Je m’appelle Tom Bufiz. Ça faisait une éternité que je n’avais pas prononcé ce nom-là. Tu te souviens du nom du gamin que t’as flingué ? C’était quoi son nom ?
Brian. C’était pas ce nom-là.
Tom. Oh ! Putain ! (à la cantonade) Hé les gars ! C’était pas mon fils ! Mon fils à moi, il est sain est sauf. Il a toute sa tête. Elle est pas éclatée sa tête. Ni trouée ni éclatée. Mon fils va bien ! C’était pas mon fils. (à Brian) Tu peux pas savoir comme tu me fais plaisir, mec. T’es pas si mauvais dans le fond. T’es juste un pauvre flic en cavale qu’a pas eu de bol. Et moi qui croyais que j’avais touché le fond. Mais y a encore de la marge. T’es plus au fond que moi, en fait. Des mètres en dessous. Va falloir faire gaffe aux paliers de décompression. À côté, ma vie est belle. Non mais sans blague. J’suis un amateur à côté de toi. Ma vie c’est que du bonheur à côté. J’ai perdu mon boulot. Je suis tombé dans l’alcool. J’ai pas supporté les regards de ma femme et de mes mômes. Ma fille elle a les yeux qui tuent. Elle est fière ma fille, comme sa mère. Ma femme c’était la plus belle femme de la terre. Une reine d’Afrique. Une déesse somalienne. Je lui faisais honte. Je la salissais, tu comprends ? Et mon fils. Le p’tit. Je pouvais pas voir la déception dans ses yeux. C’était comme une ville en ruine dans ses yeux. Tu comprends ? Alors je me suis barré. Je me suis fait oublier. J’ai disparu. Rayé des cadres. Plus rien sur la liste des vivants. Si j’avais pu mourir je l’aurais fait. Mais tu vois, j’ai pas pu. J’ai cru que j’étais mort de toute façon. Et te voilà. Toi. Avec ta grosse galère. Tu t’accroches à mon carton. Une bernique. Un Bernard L’Hermite. Une bouillotte causante. Un mauvais flic. Un cavalier sans âme. / T’as perdu ton âme, mon pauvre ami. Ben, tu sais quoi ? Va falloir la r’trouver. On verra ça demain. Bouge pas. Tu peux dormir dans mon carton. J’vais chez Robert. Faire bouillotte.
Il sort direction public.
Noir sur Brian.
Scène 6
Korri et Thibaud
Korri est seul. Thibaud entre par le fond au centre.
Korri. Hou là ! C’est quoi cette tête ?
Thibaud. C’est rien.
Korri. Viens ici, mon p’tit gars. Ça marche pas comme ça, ici. Vas-y raconte.
Thibaud. C’est Goelvenn.
Korri. C’est bizarre mais quand tu parles de lui, ça sent de moins en moins bon.
Thibaud. On était chez lui, voir sa sœur Callista.
Korri. La belle Callista… Non, ok, c’est pas le moment. Je t’écoute.
Thibaud. Depuis que sa mère est morte, il part complètement en vrille.
Korri. C’est pas faux. Non non, t’inquiète, j’ai compris. Continue.
Thibaud. On a discuté. À la fin je lui ai dit qu’il ressemblait à son père.
Korri. Le truc à pas dire ! Vous vous êtes fightés.
Thibaud. Je voulais aider. Callista est toute seule pour faire face à ça.
Korri. J’irai les voir. Il a viré couillon ton copain, mais tu peux pas porter tout ça sur ton dos. C’est pas ton métier. Les services sociaux, c’est moi. Pas toi.
Thibaud. Mais Callista ?
Korri. J’irai la voir demain. Même si elle est majeure et qu’elle a la garde de son frère, on ne va pas la laisser seule non plus, ta belle Callista. T’en fais pas. C’est toi qui m’inquiète pour le moment.
Thibaud. Y a pas de souci. J’ai l’habitude. Au lycée, j’en prends plein la tronche, presque tous les jours.
Korri. Depuis quand ?
Thibaud. Le départ de Goelvenn. À cause de ses conneries. C’est moi qui paie. Et comme je sais pas me battre…
Korri. Pourquoi tu m’as rien dit ?
Thibaud. Je voulais pas t’embêter avec ça. T’as tellement de choses à gérer. Tous les gosses du quartier…
Korri. Mon p’tit Thibaud, va falloir arrêter de jouer les victimes Tu peux pas continuer comme ça. Va falloir réagir. Et fort ! « Pour faire la paix, prépare la guerre. » Tu connais ? Attends, me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. J’ai pas dit que j’étais pour la violence. J’ai pas dit ça. La violence n’a jamais résolu quoique ce soit. En revanche, il faut savoir l’arrêter. Et pour l’arrêter, faut avoir l’air de quelqu’un qu’on ne peut pas frapper. Tu me suis ?
Thibaud. Et on fait comment ?
Korri. On fait celui qui va frapper plus fort. Du genre : « Tu me touches, t’es mort. »
Thibaud. Je saurai jamais faire ça, moi ?
Korri. On va s’en occuper. En attendant, va te débarbouiller la face.
Thibaud s’apprête à sortir. Il s’arrête.
Thibaud. Korri ?
Korri. Oui, mon gars ?
Thibaud. Je te l’ai jamais dit. Mais pour moi, t’es comme un père (une mère).
Korri. Ça me touche. Merci. Tu sais, moi non plus j’ai pas eu beaucoup de bol quand j’étais p’tit(e). La vie fait pas beaucoup de cadeaux, c’est pour ça qu’il faut savoir les prendre quand il y en a. Quand on voit comment Goelvenn est en train de gâcher sa vie, entrainant son pote Gaëtan avec lui, on se dit que la vie est une garce. Sauf, que c’est pas vrai. La vie, elle peut te mettre à plat ventre, elle peut même te mettre plus bas que terre. Mais en fait, elle te laisse toujours le choix. Soit tu lâches, soit tu te lèves.
Thibaud. Pour Goelvenn, je suis d’accord. Lui, il a sa sœur. S’il veut, il s’en sort. Mais Gaëtan ? Tu peux me dire à quel moment la vie lui a laissé le choix, à lui ? Orphelin. Jamais adopté. Toujours en famille d’accueil. De famille d’accueil en famille d’accueil. Jamais d’attache. Jamais d’amour. Jamais de…
Korri. Gaëtan il a toi, il a moi, il a Goelvenn. Au lieu de le suivre les yeux fermés, il pourrait les ouvrir. Et tirer dans l’autre sens. Tu crois pas ?
Thibaud. Il a tellement besoin de reconnaissance.
Korri. Moi aussi, j’ai été balancé de famille d’accueil en famille d’accueil. Des bonnes et des pires. Moi aussi j’ai détesté les éducs, ma mère, mon père, les flics, les cons et les connards. Moi aussi j’ai eu besoin d’avoir des amis, des bons et des pires. J’en ai bouffé de la terre et des coups de poings. J’ai jamais eu peur de me battre. Mais un jour, j’ai décidé qu’il fallait arrêter la spirale. Que j’étais pas prédestiné au malheur. Que si le soleil se levait tous les matins, je pouvais faire pareil. Que la nuit, c’est jamais fait pour durer. Qu’on pouvait relever la tête et réclamer sa part de soleil. Et surtout que le soleil est fait pour éclairer tout le monde. Que chacun a droit à sa part et que ça vaut le coup de se battre pour ça. Même pour le plus petit bâtard de merde qui pleure parce que son papa est une baltringue et que sa mère ne vaut pas mieux, qui se croit autorisé, parce qu’il a trop souffert, à emmerder son monde et à salir le soleil. C’est trop facile, ça. « C’est pas de ma faute, c’est celle des autres ! J’étais prédestinée ! » Faux ! Archi faux ! Et la dignité ? Il en fait quoi de la dignité, le p’tit bâtard de merde ? L’humiliation c’est seulement pour ceux qui n’ont pas de dignité. Quand tu as de la dignité, rien ne peut t’humilier, même pas la pire raclée, même pas la pire insulte, même pas la pire douleur, même pas la solitude, même pas la peur. La dignité c’est rester debout, même couché par terre, même quand tu pleures. Et pleurer, Thibaud, c’est comme de la pluie qui lave. La dignité ça veut dire que tu vaux le coup, que tu es quelqu’un et que tu peux avancer. Tu sais pourquoi je suis éduc de rue ? C’est parce que la rue c’est chez moi. Et que chez moi, je veux de la lumière.
Thibaud. La part de soleil pour tout le monde.
Korri. Exact. La part de soleil pour tout le monde. Aller va te débarbouiller. (Silence) Fils.
Thibaud. Oui P’pa.
Il sort à jardin. Et revient.
Thibaud. Tu sais. Callista a dit qu’elle était très contente que je sois là.
Korri tend le pouce vers le haut, avec un grand sourire. Thibaud ressort à jardin. Korri sort par le fond au centre.
Scène 7.
Brendan, Thomas et Timour.
Brendan attend, il est assis à jardin. Thomas entre avec Timour par cour.
Timour. Tu lui as dit que c’est pas sûr ? Je suis toujours pas sûr.
Thomas. C’est avant tout un ami.
Timour. C’est un policier.
Thomas. Il a toujours été à nos côtés depuis ton départ. Sans lui, maman n’aurait jamais tenu. Il venait nous donner des nouvelles ou venait en prendre. Il nous rassurait. Nous disait que t’étais pas mort. Qu’on t’avait repéré à la frontière ou dans un camp d’entrainement. À force de se voir, on est devenu ami. C’est vraiment un gars bien.
Timour. C’est un collègue du flic qu’a butté un gosse au commissariat, il parait.
Thomas. C’est pas à toi de juger. Si je m’arrêtais à ce que tu as fait toi, comment je pourrais rester ton frère ? C’est jamais blanc ou noir. Ce type est un gars bien. Il nous attend au café, là. Il va t’aider. Fais-moi confiance.
Ils avancent vers Brendan qui se lève. Il serre la main de Thomas. Timour s’assoit sans saluer. Brendan et Thomas s’assoient à leur tour.
Brendan. T’es rentré quand ?
Timour. Ce matin.
Brendan. Qu’est-ce qui t’as fait rentrer ? Qu’est-ce qui s’est passé là-bas ?
Timour. C’est un interrogatoire ?
Thomas. Calme-toi. Tout va bien.
Brendan. Tu es libre Timour. On est seulement à la terrasse d’un café. Thomas m’a dit que tu avais besoin d’aide pour décider de ton avenir.
Timour. Avenir ? Je croyais que j’en avais un d’avenir.
Brendan. C’était comment en Syrie ?
Timour. Moi j’étais à Mossoul, la capitale du Califat, en Irak.
Brendan. Alors ?
Timour. Je peux pas. Je peux pas en parler. J’étais parti pour être un meilleur humain. Pour aider à protéger les populations contre l’armée de Bachar et contre les occidentaux qui humilient les peuples. Je voulais prendre les armes pour plus de justice. Faire le djihad pour purifier mon âme et me laver de tous les mensonges du monde corrompu. Pour faire quelque chose de bien dans ma vie et avoir le droit de mourir dignement. Je croyais… j’avais cru… Je voulais pas.
Brendan. Quoi ?
Timour. Je peux pas. Ce que j’ai vu. Ce qu’ils ont voulu que je fasse. Je peux pas en parler.
Brendan. T’es pas obligé. C’est pas encore le moment. Je comprends.
(Silence)
Timour. Ils m’avaient embrigadé. M’avaient détaché de mes amis, de ma famille. Là-bas, ils m’ont lavé le cerveau. Mais faut croire qu’ils l’avaient pas bien lavé.
Brendan. Un résidu de toi était resté, c’est ça ?
Timour. C’est ça. C’était dans mon corps, je crois. J’avais toujours la nausée.
Brendan. Un bout de Timour n’arrivait pas à digérer l’intolérable.
Timour. J’ai jamais vomi autant de ma vie.
Brendan. Il y avait beaucoup d’européens avec toi ?
Timour. Assez.
Brendan. Des jeunes ?
Timour. J’étais pas le plus jeune.
Brendan. Heureusement, tu as pu rentrer sain et sauf. Écoute-moi, Timour. Maintenant, tu vas devoir te rendre à la police.
Timour. Je voulais rentrer chez moi. Être tranquille. Oublier.
Brendan. Ça ne va pas être possible, mon garçon. Ce que tu as fait c’est très grave. Association avec une organisation terroriste, c’est un crime qui doit être puni.
Timour. J’ai pas été assez puni comme ça ?
Brendan. Tu as des comptes à rendre à la justice de ton pays. Tu dois assumer tes actes et y répondre devant la loi. Il faut aussi éviter à ta famille une arrestation brutale au milieu de la nuit. Une démarche de ta part jouera en ta faveur. Et puis, il faut qu’on soit sûrs que tu es bien déradicalisé, que tu es un véritable repenti et pas un agent dormant près à passer à l’acte sur le territoire.
Timour. J’ai pas d’arme. J’ai rien. Je veux plus jamais en voir. Même quand j’en imagine une, j’ai envie de vomir. Je veux voir maman.
Brendan. C’est la preuve que tu es sincère. Il n’y a que les vrais repentis pour vouloir renouer avec leur famille. Alors, crois-moi, Timour. Écoute ton frère. Il faut te rendre à la justice. On va avoir besoin de toi. Quand tu iras mieux, il faudra que tu fournisses un maximum de renseignements. Le mode de recrutement, les méthodes de conditionnement, les filières, les entrainements, les noms, les stratégies… C’est une guerre dont l’humanité doit pouvoir sortir victorieuse et c’est des gars comme toi qui peuvent l’y aider.
Timour. Vous avez des grands mots.
Brendan. J’ai un(e) ami(e) qui aime bien les grands mots aussi. Mais c’est grâce à lui (elle) que je suis devenu ce que suis. Il (elle) m’a toujours dit qu’il n’y avait pas de fatalité. Que l’homme avait toujours son libre-arbitre. Il (elle) est devenu éducateur(trice) de rue et moi flic. Mais c’était pour les mêmes raisons. Pour faire que l’humanité sorte victorieuse de toutes les guerres dans lesquelles elle ne cesse de plonger, à grande ou à toute petite échelle. J’aurais pu mal tourner. Ma famille victime de racisme depuis son exil du Cambodge. Mes grands-parents morts sur le bateau aux frontières de l’Europe, comme beaucoup de boat people. Mon petit frère assassiné dans une rixe parce qu’il avait les yeux bridés. J’aurais pu chercher à me venger. Choisir la noirceur et le mal. J’ai pris un autre chemin. Sur ma route, des amis m’ont tendu la main. Comme moi, tu peux essayer de sortir de tout ce mal et prendre la main qui t’es tendue.
Thomas. Je suis là. Je t’aiderai.
Brendan. Tu dois payer ta dette pour te refaire une identité. Une vraie. Pas celle du gars perdu récupéré par Daesh qui aurait voulu mourir en martyr, pas celle du fugitif qui ne peut pas regarder sa mère en face, pas celle du lâche qui ne veut pas assumer ses actes. Le vrai Timour, celui qui veut vivre, celui qui se lave grâce à la justice de son pays et dont sa mère peut être fière, qui fait face à lui-même, qui aide la démocratie à lutter contre les intégrismes et qui relève la tête.
Thomas. Il faut te délivrer.
Timour. En allant en prison ?
Brendan. Ça parait contradictoire. Mais c’est ça.
Thomas. S’il te plait, rends-toi.
Timour. Je veux voir maman avant.
Brendan. Je t’attends au commissariat. Viens dès que tu es prêt.
Ils sortent. Thomas et Timour à cour. Brendan à jardin.
Noir.
Acte II
Scène 1.
Gaëtan et Thibaud
Ils passent en traversant le plateau de cour à jardin.
Gaëtan. Je t’assure, il est bizarre. Il dit des trucs chelou.
Thibaud. Comme quoi ?
Gaëtan. Des trucs à propos de la bouffe, de la musique. À la base, il est DJ et danseur de hip-hop.
Thibaud. Je sais et alors ?
Gaëtan. Alors, il veut plus en entendre parler. Trop chelou !
Thibaud. J’avoue.
Gaëtan. Et les filles aussi.
Thibaud. Quoi les filles ?
Gaëtan. C’est un dragueur de première classe. Il kiffe les meufs sexys. Tu sais bien. Mais là, c’est mort.
Thibaud. Comment ça ?
Gaëtan. Il les regarde même plus. Et tu verrais comment il en parle. On dirait que c’est devenu ses pires ennemies. Et à sa sœur, faut voir comment il lui parle.
Thibaud. Callista ? Comment il lui parle ?
Gaëtan. Mal. Il lui interdit plein de trucs. Comme quoi elle peut pas sortir comme ça. Des trucs à propos de ses cheveux. Il envoie voler ce qu’elle pose sur la table au moment des repas. Et il est toujours enfermé dans sa chambre devant son ordi. C’est devenu invivable chez eux. Il sort plus avec moi. Il me dit que j’ai de mauvaises fréquentations.
Thibaud. Ça c’est vrai.
Gaëtan. Mais c’était les siennes avant. C’est lui qui m’a présenté ces mecs. J’avais jamais trainé avec eux avant. Et maintenant, il leur tourne le dos. Et moi c’est limite si je me fais pas engueuler quand je veux pas écouter ses sermons. Il est devenu chelou, j’te dis.
Thibaud. C’est grave.
Gaëtan. Tu verrais les vidéos qu’il regarde. C’est du gros délire !
Thibaud. Et Callista ? Comment elle va ?
Gaëtan. Tu devrais venir la voir.
Scène 2.
Tom et Brian.
Éclairage à jardin. Brian est dans l’abri du SDF. Tom arrive du public.
Tom. T’as rien mangé.
Brian. Pas faim.
Tom. Elle est pas bonne ma bouffe ? Tu sais, quand on dort dans un carton, faut pas faire le difficile question nourriture. Une maison en carton, de la bouffe en carton, ça va ensemble. Question d’harmonisation.
Brian. Je te remercierais jamais assez pour ton hospitalité.
Tom. De rien mon Cavalier. Tout le plaisir est pour moi. On s’tient chaud. Y a rien de mieux que la chaleur humaine, en fin d’compte. Même si tu commences sérieusement à puer des pieds, j’te signale.
Brian. T’aurais pas envie de changer de vie ?
Tom. C’est quoi la question ?
Brian. Ta vie d’avant ne te manque pas ? Tes gosses ?
Tom. Et la tienne de vie d’avant, elle te manque pas à toi ?
Brian. C’est pas la question.
Tom. Si c’est la question justement. Tu comptes vivre dans mon carton toute ta vie ? T’as vu comment ça dégringole vite. T’as à peine vu les semaines passer que t’es déjà plus un homme au milieu des hommes. T’es un clodo qu’a pris la couleur des murs et des trottoirs, qui sent même plus le froid ou la faim et qui marine dans son pinard et son vomi. C’est ça que tu veux ? C’est pour ça que tu t’étais engagé dans la police ?
Brian. J’ai perdu le droit d’être un policier.
Tom. Moi, c’est le droit d’être un père.
Brian. T’as pas envie de revoir tes gosses ?
Tom. J’en rêve toutes les nuits. Des fois, j’imagine que je suis plus un clochard, que je suis tout propre, avec un beau costume, que je marche dans la rue et que là, je vois ma fille et mon fils. Ils ont grandi. Ils sont beaux comme des soleils. Elle avec sa peau claire, lui avec sa peau brune. Je vois leurs grands yeux qui s’écarquillent. Et leurs bouches qui crient : « Papa ! » J’ouvre les bras en grand. Ils courent vers moi. C’est le plus beau jour de ma vie.
Brian. Ça pourrait arriver.
Tom. Mais oui, c’est ça. Et toi, t’as jamais mis de pruneau dans la tête d’une petite frappe de banlieue.
Brian. Pourquoi tu me dis ça ?
Tom. Pour te faire bouger, mon Cavalier.
Brian. Pourquoi tu m’appelles comme ça ?
Tom. Un policier en cavale, c’est un cavalier. Toi, t’es un cavalier. Et je vais te dire une bonne chose, mon Cavalier. Écoute bien tonton Tom. / Un cavalier, c’est pas fait pour se planquer comme un planqué. Un cavalier ça dort pas dans un carton à bouffer du carton avec un clodo qui pue des pieds. Un cavalier, ça remonte sur son cheval et ça affronte le danger. Ça assume ses responsabilités. Ça assume le déshonneur pour récupérer son honneur.
Brian. T’es un beau parleur, tonton Tom. Mais je te renvoie la balle, mon p’tit père. Un père c’est pareil. Ça assume ses responsabilités. Ça assume le déshonneur pour récupérer son honneur.
Tom. Bon point, Cavalier. T’as touché dans le mille. On fait un deal.
Brian. Lequel ?
Tom. Je t’aide à remonter sur ton cheval et toi tu m’aides à retrouver mes gosses.
Brian regarde intensément Tom. Silence et noir côté jardin.
Scène 3.
Korri et Thibaud
Ils entrent par le fond. Korri entraine Thibaud au combat et au self défense.
Ils sortent de même.
Scène 4.
Callista et Thomas
Thomas entre par cour. Callista le suit.
Callista. S’il te plait ?
Thomas. Tu voulais me parler ?
Callista. Oui. En fait, c’est Gaëtan qui a parlé à Thibaud qui a parlé à Korri qui connait un certain Brendan et qui a dit que tu pourrais peut-être m’aider.
Thomas. À ?
Callista. Trouver une solution.
Thomas. Pour ?
Callista. Mon frère.
Thomas. Pourquoi moi ?
Callista. Ton frère.
Thomas. Écoute, je veux bien d’aider, mais il faudrait que je puisse comprendre ton problème. Keep cool, Ladie. Vas-y, je t’écoute.
Callista. Ton frère était parti en Syrie, mais il est revenu. Il parait qu’il s’est rendu de lui-même parce que justement il était redevenu lui-même.
Thomas. C’est vrai.
Callista. Il parait que tu l’as beaucoup aidé.
Thomas. Je n’étais pas tout seul.
Callista. Moi, je suis toute seule et je voudrais savoir comment je peux faire pour aider mon frère qui est en train de se radicaliser.
Thomas. À l’époque où Timour se radicalisait, je n’avais rien vu venir. J’avais mis ça sur le compte de l’adolescence. On est souvent extrémiste quand on a cet âge-là. Je n’ai rien fait pour lui venir en aide. Ton frère a plus de chance que le mien.
Callista. Mais je ne sais pas quoi faire. Avant je lui reprochais d’avoir quitté le lycée et de devenir est vrai délinquant. Maintenant qu’il ne l’est plus, j’ai encore plus peur de le perdre. Il pourrait faire comme ton frère, partir faire la guerre là-bas ou, pire, commettre je ne sais pas quoi ici. J’ai très peur. Et je suis toute seule.
Thomas. Tu n’es pas toute seule. Je vais t’aider.
Callista. Merci.
Thomas. Si ton frère savait toute la vérité sur Daesh et son entreprise, je t’assure qu’il changerait vite d’avis.
Callista. J’ai essayé de lui ouvrir les yeux. Ses copains aussi. Gaëtan, son quasi frère jumeau, n’arrive même pas à lui parler. Et il s’est fâché avec son ami d’enfance. Thibaud est comme moi, complètement démuni.
Thomas. Ton frère n’écoutera personne tant qu’on ne lui aura pas apporté la preuve que ce qu’on lui fait croire est faux.
Callista. Korri dit que je pourrais aller voir son ami, le policier qui s’appelle Brendan.
Thomas. C’est à lui justement que je pensais. Il peut nous aider. J’ai une idée qui pourrait marcher. La seule chose que tu as à faire c’est convaincre ton frère de nous suivre.
Callista. Ça va être du sport. Mais ça, je peux y arriver.
Thomas. Parfait. Je m’occupe du reste.
Callista. Merci.
Thomas. Tu me remercieras à la fin.
Ils sortent à cour.
Scène 5.
Thibaud et Gaëtan.
Ils entrent par jardin.
Thibaud. C’est mort.
Gaëtan. Ne dis pas n’importe quoi. C’est pas mort.
Thibaud. Mais t’as vu le mec. Grand, beau, mature, sympa. Comment tu veux que je rivalise avec ça ? Je suis pas de taille.
Gaëtan. Mais elle t’aime bien. Vous vous connaissez depuis l’enfance. T’as vu comme elle te fait confiance !
Thibaud. À lui aussi, elle fait confiance. Et lui, il a frère en prison, qu’est même pas un méchant. Comme mec sexy on peut pas faire mieux.
Gaëtan. Mais tu lui as parlé au moins ?
Thibaud. Tu rigoles ? Jamais de la vie. Tu imagines si je me prends un vent. Même l’amitié serait gâchée.
Gaëtan. À cette allure-là, c’est sûr que t’iras pas loin.
Thibaud. C’est mort, j’te dis. Y a pas photo. C’est Thomas qu’elle va préférer.
Gaëtan. Ça fait combien de temps que tu la kiffes comme ça ?
Thibaud. Depuis la maternelle. Elle, c’était une grande du CP. Goelvenn et moi on était en moyenne section. Mais depuis quelques semaines c’est plus la même musique. Elle est plus forte. Ça me fait du son comme si j’avais un casque visé sur les oreilles. J’entends que ça. Callista. Callista. En boucle. Et voilà qu’elle va chercher l’aide de ce grand type à la voix douce. Je suis foutu.
Gaëtan. Dis pas ça.
Thibaud. Et t’imagines ce que Goelvenn dirait ?
Gaëtan. Goelvenn, il a la tête à l’envers. Il dirait que des conneries. On n’est plus au Moyen-âge. On demande plus la main d’une fille à son frère. C’est les filles qui décident.
Thibaud. Va dire ça à Goelvenn.
Gaëtan. On s’en fout de Goelvenn. Ton problème à toi, c’est Callista.
Thibaud. Ouais. C’est ça mon problème.
Il marche rapidement vers cour. Gaëtan le suit.
Gaëtan. Hé ! Cours pas si vite. Tu vas où comme ça ?
Thibaud. Me jeter à l’eau.
Ils sortent.
Scène 6.
Callista, Goelvenn, Thomas, Brendan et Korri
Callista et Goelvenn entrent par cour. Ils regardent Thomas, Brendan et Korri arriver par jardin
Goelvenn. C’est ça ton plan ? Un flic et un éduc. Comme plan foireux, on fait pas mieux.
Callista. Tu as dit que tu étais d’accord pour me suivre. Qu’on pouvait rencontrer qui je veux et aller où je veux.
Goelvenn. J’ai donné ma parole. Mais tu perds ton temps, grande sœur. C’est qui le grand ?
Callista. Un grand frère.
Goelvenn. Ce serait pas le frangin du gars qu’est rentré de Syrie ?
Thomas. C’est ça. (Il lui serre la main) Et je t’emmène voir mon frère, justement.
Goelvenn. Il est en tôle ton frère. À cause de ce flic-là (il désigne Brendan).
Brendan. Enchanté.
Goelvenn. Parce que celui-là (il désigne Korri) avait pas bien fait son boulot.
Korri. Salut Goelvenn.
Goelvenn. Vous êtes venu en force. À croire que je suis une bête dangereuse.
Korri. T’es pas une bête dangereuse Goelvenn, t’es juste quelqu’un qu’as besoin d’aide pour trouver la bonne direction.
Goelvenn. J’ t’ai pas attendu pour la trouver la direction. Je sais très bien où je vais.
Thomas. Eh bien, je connais quelqu’un qui va pouvoir te dire où elle mène ta direction.
Goelvenn. On va où ?
Brendan. J’ai obtenu un droit de visite à la maison d’arrêt.
Goelvenn. Sans dec ? Vous m’emmenez en tôle direct, comme ça ?
Korri. Sauf que tu vas en ressortir plus libre que quand t’es entré.
Thomas. Mon frère est d’accord pour parler avec toi. Viens.
Callista. Je t’attends dehors.
Thomas, Brendan, Korri et Goelvenn sortent par le fond au centre. Callista reste.
Scène 7.
Callista et Brian
Callista est seule. Entre Brian par cour.
Brian. Mademoiselle, je pourrais vous parler, s’il vous plaît ?
Callista. À propos de quoi ?
Brian. Vous connaissez Tom Bufiz ?
Elle le regarde médusée.
Callista. C’est mon père.
Brian. C’est lui qui m’envoie. J’ai des choses à vous raconter. Vous voulez bien ?
Callista. Oui.
Brian. Peut-on s’éloigner un peu ? Je reviendrai ici plus tard. J’aurai tout le temps de m’y attarder. Mais c’est pas encore le moment.
Ils sortent par cour.
Scène 8.
Goelvenn et Timour
Ils entrent chacun de leur côté. Se rejoignent au centre et s’assoient.
Discussion silencieuse et jeu de lumières allumées / éteintes. À chaque retour de la lumière, les deux garçons ont changé de position : évolution de la prise de conscience de Goelvenn.
Scène 9.
Goelvenn et Callista, puis Brendan, Korri et Thomas
Callista est revenue au centre par cour. Elle attend. Goelvenn sort par le fond. Goelvenn se jette dans les bras de sa sœur et l’étreint longtemps. Brendan, Korri et Thomas sortent du fond, en silence. Ils regardent la scène.
Goelvenn. Je sais pas quoi dire.
Callista. Moi j’ai beaucoup de choses à te dire. Tu me fais toujours confiance ?
Goelvenn. Plus que jamais.
Callista. Viens.
Elle l’entraine à cour.
Scène 10.
Brendan, Korri, Thomas, Brian et Tom
Brian et Tom entrent venant du public. Tom porte une nouvelle veste. Ils rejoignent les trois autres.
Brendan. Brian !
Brian. Bonjour Brendan. (Un temps où les deux hommes se regardent intensément) J’avais si peur de ton regard. J’avais peur de ce que j’allais y lire.
Brendan. Tu y lis quoi ?
Brian. Une profonde empathie.
Brendan. Qu’est-ce tu croyais ?
Brian. Merci, mon ami. Tiens ! (Il lui donne son arme) Je me rends et m’en remets à la justice.
Brendan. Merci.
Brian. C’est grâce à lui. (Il désigne Tom). Sans lui je n’aurais jamais eu le courage de survivre.
Tom. (Serrant la main de Brendan et de Korri -Lou) Bonjour m’sieur dam’. Je suis le papa de Callista et de Goelvenn. J’ai mis une veste propre et j’ai lavé mes pieds. C’est grâce à lui. (Il désigne Brian) Sans lui j’aurais jamais eu le courage de sortir de mon trou.
Brendan. (À Brian) Tu es prêt ?
Brian. Je suis prêt.
Korri. (À Tom) Vous êtes prêt ?
Tom. Prêt.
Brendan et Brian sortent par le fond. Korri entraine Tom sur le devant de la scène. Ils attendent. Thomas est resté en arrière.
Scène 11.
Korri, Tom, Thomas, puis Callista et Goelvenn
Korri et Tom sont devant. Thomas toujours en arrière, regarde la scène. Entrent Goelvenn et Callista par cour. Korri s’écarte et rejoint Thomas à l’arrière.
Callista. Papa !
Elle s’élance dans les bras de son père.
Tom. Ma fille ! Pardonne-moi. Pardonnez-moi. (Il regarde Goelvenn) Mon fils.
Goelvenn. Espèce de salaud. Depuis cinq ans, tous les jours, je rêve de te croiser pour te casser la gueule. Mais là, je sais pas ce qui m’arrive, j’en ai plus envie. (Silence) Maman est morte, tu savais ?
Tom. Je savais pas.
Il lève les yeux au ciel.
Tom. Pardon.
Callista. Tu ne nous quitteras plus, maintenant, n’est-ce pas ?
Tom. Ben le problème c’est que mon carton va être un peu petit pour trois.
Callista. Papa, je veux que tu rentres à la maison.
Scène 12.
Les mêmes, puis Thibaud et Gaëtan
Thibaud et Gaëtan entrent par jardin et rejoignent Thomas et Korri
Korri. Vous avez loupé un épisode, les gars.
Gaëtan. Hé ! Mais c’est pas le père de Goelvenn, là ? Mais en plus maigre.
Thibaud. D’où il sort ?
Korri. D’un carton apparemment.
Gaëtan. C’est trop bien !
Goelvenn. (Remarquant Gaëtan) Gaëtan, mon pote ! Viens. Ben voilà, je te présente… mon daron.
Gaëtan s’approche.
Gaëtan. Bonjour Monsieur.
Tom. Mais je te reconnais, toi. Tu serais pas le p’tit Gaëtan ? Mais en plus grand.
Gaëtan. C’est moi, monsieur. Je suis content que vous soyez de retour. Mais vous allez reprendre la chambre du fond. Je vais devoir partir maintenant.
Goelvenn. C’est hors de question, mon frère. On partagera ma chambre.
Tom. Je voudrais pas déranger.
Callista. Tu déranges personne, papa. Tu rentres à la maison. C’est chez toi.
Goelvenn. Et… ça ne te dérange pas d’avoir un fils en plus ?
Tom. (À Gaëtan) Dans mes bras fiston. (Ils s’étreignent).
Callista. (En se retournant vers le groupe de Thomas, Korri et Thibaud) Thomas ! Merci ! (Il lui répond par un signe de tête.)
Thibaud recule, en regardant Thomas. Mais Thomas et Korri le repoussent en avant.
Callista. Thibaud ! (Elle le prend par la main) Viens que je te présente à mon père. (À son père) Papa, je te présente Thibaud.
Tom. Enchanté, jeune homme.
Thibaud a un large sourire.
Noir.
Épilogue.
Thomas et Timour
Lumière. Thomas est seul. Timour entre par jardin
Timour. Salut !
Long regard entre les deux frères.
Thomas. Ça y est. Tu es libre ?
Timour. Oui.
Ils s’étreignent.
Noir.