« Eaux », en lecture théâtrale (voix et musique), par La Forge Campin, publié chez Christophe Chomant Éditeur, mai 2022

Édition chez Christophe Chomant Éditeur

C’est une commande de la comédienne Véronique VALMONT qui a déclenché l’écriture de ce seule en scène : « Eaux ».

Une mère de terroriste doit faire face à l’indicible de soi et de l’autre. Face à l’absence de l’autre et à l’anéantissement de soi. Comment dire ? Comment (re)vivre ? Comment se (re)lever ? Comment (re)venir au monde ?

Histoire d’une (re)naissance.

Sculpture de Raoul Dufy (1877-1953)

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V. Valomont dans « Une mère »

Après sa présentation, à Avignon en 2018, de « Une Mère » et de « Moi, Ulrike, je crie… » deux monologues de Dario Fo et Franca Rame sur le thème du terrorisme, Véronique Vlamont cherchait d’autres mots, d’autres voix(es) pour exprimer ce qu’elle n’a pas terminé de dire. « Eaux » vient libérer les mots… Un projet pour Avignon 2020… Lecture-Théâtre par la Compagnie A Corps et à Cause, donnée en septembre 2019.

Également le projet de la « Forge Campin » : une lecture théâtrale (voix, chœur et musique). La générale ouverte le 19 mars 2022, au Théâtre de la Rochette (Josselin). Après une première forme présentée lors du Festival de Cussangy (10) le 18 août 2019 et lors d’une analyse chorale, le 25 octobre 2020 (entre deux confinements) à l’ADEC56, la troupe propose sa recréation, au printemps 2022.

Texte dit par l’auteure (la Mère) et par Christine Le Du, Marie-Jo Le Pen et Julieta Iocco (les didascalies) / Musique composée et interprétée par Michel Devillers, à la viole de gambe et au cajon.

Eaux par la Forge Campin

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Crédit photo : Benjamin Lecouffe

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Extrait (incipit) :

La Mère entre, comme si elle revenait.

La Mère.     Je suis allée dans ta chambre. Je n’ai pas allumé. Il y avait encore la lumière du soir. J’ai cru deviner ta silhouette près de l’armoire. Tu étais debout, silencieux, tu regardais dehors. J’ai guetté ta respiration. Mais, il n’y avait pas d’autre respiration que la mienne. Tes épaules ne se soulevaient pas. Tu ne respirais pas. Tu n’étais pas là, à côté de l’armoire, à regarder dehors.

Ça m’arrive souvent depuis quelque temps.

Si tu étais là, je dormirais. Mais il n’y a que moi ici.

Quand tu étais encore là, déjà je ne dormais pas. Ou peu. Par intermittence. Par à-coups. À coup de toc-toc sur ta porte. À coups de poings, de tête contre ta porte. Je dormais contre ta porte. Tu ne parlais plus. À moi tu ne parlais plus. Je t’entendais de l’autre côté. J’entendais ta respiration. Tes doigts sur le clavier de l’ordinateur. Quand tu sortais, tu me bousculais. Des pieds, des genoux, des épaules durement. Ton regard était fou, mais tu ne me regardais pas. Jamais dans les yeux. Tu regardais ailleurs, au-delà, un horizon qui n’existait pas. Déjà, j’étais seule dans l’appartement. Déjà tu n’étais plus là. Déjà tu faisais rentrer mes mots dans ma gorge. Ton silence comme des coups de poings contre ma bouche, au creux de ma gorge, contre mon estomac, contre mon ventre.

Quand tu es parti, je n’ai plus dormi du tout. Zombi malade, j’ai erré dans l’appartement, jour et nuit, nuit et jour. J’allais dans ta chambre maintenant ouverte et déserte. J’allais sur ton lit. Je respirais ton odeur. Je n’allumais jamais pour mieux sentir la présence de toutes tes choses, de tes objets et de tes meubles. Les mêmes objets, les mêmes meubles qu’avant tout ça. Finalement, tu étais bien plus présent qu’avant ton départ. Je pouvais te sentir, caresser ton espace, entrer dedans et m’y pelotonner. Les seuls moments de sommeil étaient dans ta chambre, sur ton lit, sur ton siège, ou au sol. Au sol, comme une naufragée sur une plage. Au sol, pour sentir mon corps avoir mal pour de vrai et m’endormir enfin.

Je t’ai attendu. Vraiment attendu. Tendu comme la corde de l’arc au maximum de la tension, au plus large de la flèche, prête à tout lâcher au moindre signe de vie, au moindre signe de retour. Prête à tout lâcher, mais ne lâchant rien. Pas un millimètre, pas un millième de millimètre. Les nerfs, les tendons, les muscles, les os de mon crâne, tendus à se rompre, tout le temps où je t’ai attendu.

Et puis voilà. Bien sûr, je n’attends plus. Je ne dors pas plus, non plus. Une habitude. Une insomnie qui dure. Je compte les victimes. Je fais le compte des familles, je dénombre les souffrances. J’empile. J’empile et ce que j’empile est aussi haut que l’immeuble. J’attends de me noyer dedans. De mourir d’étouffement.

Alors, je vais dans ta chambre. Je n’allume toujours pas. Et je crois te voir. Tu n’as jamais été aussi présent que depuis que… […]


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Une réponse à « Eaux », en lecture théâtrale (voix et musique), par La Forge Campin, publié chez Christophe Chomant Éditeur, mai 2022

  1. Ping : Vendredi 20 Septembre 2019 / 20h30 / « EAUX » Sang et eau mêlés – La P'tite scène des Halles

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